Après consultation, le Conseil fédéral devrait confirmer une série d’allègements très attendus pour le 31 mai.
«C’est un grand soulagement, nous sommes super heureux! Les terrasses ne suffisaient absolument pas à assurer la rentabilité.» Le cri du cœur de la Lausannoise Frédérique Beauvois est celui de toute une profession, mise à genoux par des mois de pandémie. Mercredi 12, le Conseil fédéral a enfin laissé entrevoir la possibilité d’une réouverture prochaine des restaurants à la fin du mois – au terme de la période de consultation des cantons et des partenaires sociaux – et pour autant que l’embellie se poursuive. La décision définitive de réouverture au 31 mai sera prise lors de la séance du 26 mai.
Beaucoup ont profité du vide béant des semaines écoulées pour rafraîchir, voire transformer leur intérieur, comme pour mieux repartir au front, armés d’énergie positive. A Bulle, Virginie Tinembart et Georgy Blanchet ont repeint eux-mêmes les murs et revu le décor de leur Café Paradiso. A Bex, Marie Robert a fait taguer les murs de son Café Suisse sur le thème de Las Vegas et Roger Rabbit: «Je suis très très très contente, s’exclame la cheffe, dont les fidèles ont déjà pris d’assaut le cahier de réservations. Après cinq mois à se retrouver les ailes coupées, on est à fond sur la réouverture; on a loupé trois cartes, mais la prochaine sentira l’appel de l’été.»
Gastrosuisse s’est réjoui, par la voix de son président Casimir Platzer, tout en apportant plusieurs nuances à l’annonce, déplorant notamment la lenteur de sa mise en œuvre – qui n’interviendra qu’après le week-end de la Pentecôte. Autre bémol, la prise de position de l’association faîtière est assortie de l’avis de droit des juristes Isabelle Häner et Livio Bundi concernant le modèle en trois phases du Conseil fédéral. Les experts mandatés par Gastrosuisse jugent les critères gouvernementaux discutables et partiels.
Une prolongation de la fermeture ne serait plus défendable a indiqué Casimir Platzer, citant l’expertise récente. Cet avis conclut que le modèle est illégal et contraire à la constitution car il se base uniquement sur des critères épidémiologiques, sans prendre en compte les aspects économiques et sociaux. Selon les mêmes experts, les indicateurs pris en compte ne seraient pas proportionnés au danger.
Casimir Platzer a également souligné que l’ouverture des terrasses pour certains établissements n’a permis de réaliser que de faibles chiffres d’affaires, ne suffisant même pas à couvrir certains frais courants. Le Conseil fédéral a par ailleurs assorti ce projet d’assouplissement de règles strictes: enregistrement des données des clients, port du masque quand on ne consomme pas, maximum de quatre personnes par table, distances et séparations intérieures.
Pour Frédérique Beauvois, du collectif Qui va payer l’addition?, trois aspects importants ne sont pas pris en compte, à commencer par la question des vacances: «Les employés en RHT ne peuvent pas prendre de vacances, ils devront donc les prendre au moment de la réouverture ou se faire payer leurs vacances, or la branche est complètement exsangue.» Deuxième point soulevé par la restauratrice, le plafond fixé à 20 % du chiffre d’affaires est totalement arbitraire. «Ceux qui ont déjà perdu plus de 80% en 2020 n’ont plus droit à rien pour cette année. Il y a fort à craindre qu’il y aura des faillites malgré les prêts Covid et les cas de rigueur, notamment pour tous ceux qui ont dû fermer durant plus d’un an.» Enfin, troisième point évoqué par Frédérique Beauvois, la question des prêts Covid. Et selon la Lausannoise, les cantons romands ayant fermé avant le reste du pays, on va sans doute y recenser les premières victimes. «Les restaurateurs, soit la quasi totalité du secteur, se sont endettés à hauteur de 10% de leur chiffre d’affaires. Un choix inévitable si on songe qu’il a fallu attendre février pour toucher les aides, soit près d’un an après la fermeture. Ces prêts seront remboursables sur sept ans, avec des taux d’intérêts décidés d’année en année. Or quand on sait que la marge des restaurateurs est généralement comprise entre 3 et 7% du chiffre d’affaires, ces prêts seront impossibles à rembourser», déplore encore Frédérique Beauvois.
Enfin la question des loyers reste de même en suspens. Pour quelques villes, Genève et Lausanne notamment, qui ont renoncé à percevoir leurs loyers auprès des établissements concernés, de très nombreuses régies privées n’ont pas fait le moindre geste commercial: ils seraient près de la moitié des bailleurs, selon certaines estimations de la branche.
(Véronique Zbinden)