«Winter Palace» plonge dans les origines du tourisme alpin de luxe. Une série tournée dans les Alpes avec un ancrage historique fort.
Les Alpes suisses, au fil des siècles, ont attiré l’attention des visiteurs du monde entier. Dès le XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau, dans Julie ou la Nouvelle Héloïse, célèbre leurs paysages sublimes lorsque les protagonistes s’aventurent en Valais, ou qu’ils en contemplent la silhouette de Clarens. Le succès de l’ouvrage ouvre la voie à un tourisme lettré et inspire une fascination pour les montagnes helvétiques, l’âpreté des reliefs renvoyant à l’esthétique du sublime développée entre autres par Edmund Burke. Le XIXe siècle, lui, marque l’essor de l’hôtellerie alpine, notamment grâce à l’alpinisme et à l’afflux de touristes britanniques, américains et russes, comme le rappelle le Dictionnaire historique de la Suisse. Ce phénomène entraîne la construction de palaces emblématiques, de Caux à St-Moritz, en passant par Zermatt, Interlaken et Zurich. Ces établissements imposent les standards du luxe et façonnent l’image de la Suisse comme destination phare du tourisme de montagne, voire du tourisme tout court.
Sur cette toile de fond historique, Winter Palace débarque le 26 décembre sur la RTS. Cette nouvelle série en huit épisodes, produite par la RTS, Point Prod et Oble, en collaboration avec Netflix, raconte les débuts du tourisme hivernal de luxe. Située en 1899, elle suit André Morel, un hôtelier visionnaire décidé à ouvrir un établissement cinq étoiles pendant l’hiver, une première à l’époque. Evelyne Lüthi-Graf, conseillère historique, souligne l’originalité de l’angle scénaristique dans un documentaire diffusé en parallèle de la série (lire encadré): «C’est la première fois qu’une fiction explore cette ère pionnière de l’hôtellerie suisse, un pan essentiel de notre patrimoine», explique-t-elle. Inspiré par des figures comme César Ritz ou Johannes Badrutt, Morel se heurte aux défis logistiques, aux exigences de ses clients et aux caprices du climat, sans se départir de son enthousiasme.
Présentée en avant-première au Geneva International Film Festival, Winter Palace a révélé ses deux premiers épisodes. La narration débute in medias res, avec le couple Morel découvrant la bâtisse qu’il ambitionne d’acheter et de transformer en palace grâce au soutien financier de Lord Fairfax. Dès que ce dernier donne son accord, les rebondissements s’enchaînent dans une intrigue finement écrite, incarnée par des personnages forts et un palace – situé à Champaz, localité fictive à la consonance familière – reconstitué à partir de quatre décors emblématiques: Hôtel Righi Vaudois à Glion, Caux Palace à Caux, Château Mercier à Sierre et Hospice du Simplon. Le réalisateur Pierre Monnard, qui intervient aussi dans le documentaire, évoque la dimension autoréflexive de la série: «L’hôtellerie, comme le cinéma et la télévision, repose sur l’art de raconter des histoires et de créer des décors», résume-t-il en substance. Le montage rythmé et les choix musicaux contemporains, de leur côté, accentuent l’accessibilité d’un drame historique qui explore les dynamiques sociales de l’époque.
Françoise Mayor, responsable Fiction à la RTS, insiste sur le caractère unique de la série. Tournée exclusivement en Suisse, Winter Palace met en valeur le patrimoine helvétique: «Cette série, grâce à Netflix qui la diffusera aussi dès février, touchera un public international et contribuera à la visibilité de la Suisse comme destination, tout en mettant en avant son savoir-faire cinématographique.» Le travail minutieux des équipes est aussi vanté: les costumes, pour moitié d’époque, ont été restaurés ou reproduits avec une attention au détail qui reflète les codes vestimentaires de 1899, tandis que les décors, pensés pour conjuguer authenticité et grandeur, transportent le spectateur dans l’atmosphère feutrée des premiers palaces alpins. «Nous voulions capturer à la fois la réalité historique et l’ambition artistique de cette époque. C’est ce souffle pionnier que la série transmet», ajoute-t-elle. Elle salue également la performance des acteurs, qui incarnent des personnages complexes, et la volonté des autrices (Lindsay Shapero et Stéphane Mitchell) de construire des personnages forts. Rose, la femme de Morel, prend d’ailleurs une importance croissante au fil des épisodes – une manière de rendre hommage aux hôtelières qui ont été nombreuses, en Suisse, à gérer des établissements d’envergure.
Détail cocasse: Evelyne Lüthi-Graf rappelle que l’hôtellerie suisse, à l’époque, fonctionnait surtout en été, avant que les sports d’hiver n’élargissent les perspectives, tandis que l’enjeu est aujourd’hui d’attirer la clientèle en montagne durant l’été. Au-delà des anecdotes historiques, la série explore les relations humaines: tensions sociales, amours contrariées, aspirations personnelles. L’hôtellerie, une histoire de famille, souligne enfin Evelyne Lüthi-Graf. Un rappel précieux, qui vaut aussi pour l’univers de Winter Palace, peuplé de personnages attachants.
(Patrick Claudet)
Diffusion
Les huit épisodes de 45 minutes chacun sont à voir dès le 26 décembre sur Play RTS et RTS 1, en exclusivité pendant sept semaines.
Générique
Une série RTS créée par Lindsay Shapero, sur une idée originale de Jean-Marc Fröhle, et réalisée par Pierre Monnard. Produite par Françoise Mayor et Patrick Suhner (RTS), Jean-Marc Fröhle, David Rihs et David Gonet (Point Prod), Hugo Brisbois, Katia Sol et Lydia Kali (Oble), en collaboration avec Netflix.
Un documentaire évoque la genèse de «Winter Palace» et retrace l’histoire de l’hôtellerie de luxe helvétique.
The Historians, série de capsules vidéos de l’Université de Genève, décrypte les séries télévisées et la manière dont elles recomposent l’imaginaire des téléspectateurs. Dans un documentaire en quatre parties d’une douzaine de minutes chacune, plusieurs intervenants s’intéressent au cas particulier de Winter Palace. Parmi eux figurent Evelyne Lüthi-Graf, historienne et archiviste, conseillère historique sur la série, le réalisateur Pierre Monnard, ainsi que les responsables des décors (Marion Schramm) et des costumes (Valérie Adda). Ensemble, ils dévoilent les coulisses de la production et l’effort déployé pour ancrer la fiction dans un cadre historique aussi authentique que possible.
La première partie explore l’évolution de l’hôtellerie alpine, des modestes auberges aux luxueux établissements accueillant la noblesse, dans le sillage de pionniers comme César Ritz. La deuxième analyse les palaces comme reflets des hiérarchies sociales, visibles dans l’architecture et les interactions en salle. La troisième examine les cuisines d’hôtel, entre chaos et naissance de pratiques standardisées. La dernière met en lumière l’essor des sports d’hiver, popularisés par des figures comme Johannes Badrutt. La diffusion est prévue à partir du 26 décembre sur RTS 1 et Play RTS.
(pcl)