L’Association Suisse Vin Nature a pu présenter enfin sa démarche, via ses crus. Dans un endroit idyllique: sous chapiteau, à Romainmôtier, au pied du Jura vaudois.
Le lundi 16 août, une cinquantaine de vins étaient prêts pour une dégustation à la bonne franquette, en plein après-midi. Les organisateurs, l’Association Suisse Vin Nature, fondée ce printemps, ont eu... chaud: la veille, c’était le week-end le plus caniculaire de l’année. Et on sait que les «vins nature», caractérisés par l’absence d’anhydride sulfureux (S02), «sans soufre ajouté» donc, sont sensibles à la chaleur. Au bord du Nozon, l’atmosphère paisible était propice à la dégustation à la volée des vins. D’abord prévue à Lausanne, à l’hôtel Royal Savoy, dont la table mise résolument sur les vins nature suisses, la dégustation a été décentralisée, à Berne, puis à Romainmôtier. Quatre des plus éminents membres étaient là: le président Frank Siffert, de Bonvillars (VD), la vice-présidente Anne-Claire Schott, de Douanne (BE, lac de Bienne), le secrétaire Christian Vessaz, de Môtiers (Vully/FR) et la présidente de la commission technique, Catherine Cruchon, d’Echichens (VD).
D’emblée, Christian Vessaz, œnologue en recherche permanente d’excellence, membre de la Mémoire des vins suisses, précise que ces «vins nature» sont «suisses, donc propres en ordre». Sur les quelque 45, peu présentaient des goûts rédhibitoires, notamment celui «de souris», difficile à cerner, car impossible à déceler au nez, mais persistant en bouche, sur les herbes sèches, les céréales, le riz basmati. Sans compter l’oxydation, plus ou moins voulue, la piqûre ascétique, ou le végétal exacerbé, entre autres défauts redoutés — et corrigés! — par l’œnologie classique. Le vin nature suisse est hyper-cadré: un prérequis à la vigne, cultivée en bio ou en biodynamie, en cave, aucun intrant (ni levure, ni bactérie, ni enzyme) et pas de SO2, pour des vins non-filtrés. «C’est extrêmement restrictif, ce qu’un œnologue ne dira jamais», constate Christian Vessaz.
Sur les 45 vins, on en a dégusté plus de la moitié, conseillé par le vigneron du Vully. Dans la diversité, Anne-Claire Schott est championne: elle propose toute une gamme, du «petnat» (pour pétillant naturel) à un «vin produit suisse», «Anne Sombre», en passant par le pinot noir «Rapf», logé en litre et sous capsule couronne. Et j’ai trouvé son sauvignon blanc très agréable, à l’instar des blancs, l’altesse des filles Cruchon (elles sont quatre jeunes femmes à prendre le relais des frères Cruchon...), du Bérolon, un chasselas de Laura Paccot (Féchy, VD), du beurot (pinot gris) de C. Vessaz, du chardonnay orange d’Anthony Fonjallaz (Domaine Chambet à Gy, GE), et en rouge, du «Grain Nature», de M.-Th. Chappaz (Fully, VS), du divico d’Elodie Kuntzer (Domaine Saint-Sébaste, NE), du gamaret de Véronyc Mettaz (Fully, VS) et deux vins remarquables de lauréat(e)s du prix du vin bio suisse, le pinot noir, «Nature» 2019 (alors que tous les autres vins sont des 2020), de Louis-Philippe Burgat (Cave de Chambleau, NE) et «Silène», cabernet franc de Sandrine Caloz (Miège, VS).
Mais qui achète ces «vins nature»? «Ce sont d’abord des sommeliers ou des intermédiaires, notamment zurichois, qui travaillent avec des hôtels et des restaurants», répond Christian Vessaz, pour qui les «nature» représentent 5 % de sa production (7000 bouteilles par an), mais 10 % des ventes. Sur une carte de restaurant, ces vins sont à des prix soutenus, si l’on se réfère au Royal Savoy, et aux crus de trois domaines valaisans Mythopia, Chérouche ou Julien Guillon, qui n’ont pas jugé utile d’adhérer à l’association. Alors, mode éphémère ou avenir pour ces vins exigeants à la vigne et en cave? En préface de La cité des œnologues (Samsa Editions), du vigneron et vinificateur Dorian Amar, Raoul Cruchon écrit: «Lorsqu’ils sont réussis, ces vins «libres» sont capables d’émouvoir. [...] A l’image du milieu dont ils sont issus, leur existence sera durable.» Aujourd’hui, les vins nature suisses affirment et assument leur(s) différence(s). Et c’est déjà ça...
(Pierre Thomas)