Figure incontournable de la scène culinaire internationale, le Suédois vient de publier une somme sur la gastronomie des pays nordiques dont il révèle quelques-uns des secrets.
Le chef de Fäviken Magasinet, à Järpen, est la valeur montante de ces dernières années. Installé à 300 kilomètres de Stockholm, aux confins de la Laponie, cet énergumène propose une cuisine originelle à base de plantes, de baies sauvages, de gibier et de poissons inouïs, exclusivement issus de son voisinage immédiat. D’une vieille ferme retapée qui servait jadis la fondue d’élan aux skieurs locaux, il a fait en quelques années une des destinations gastronomiques les plus courues du moment, affichant complet des mois à l’avance.
Passé par Paris et l’Astrance de Pascal Barbot – dont il a retenu principalement deux grandes choses: le culte du produit et la pratique du français –, il est aussi un des rares chefs formé à la sommellerie, un fou de vins. Après avoir publié son propre ouvrage (magnifique) chez le même éditeur (Phaidon), il nous revient donc avec une vision élargie de son rayon de chasse au cercle polaire arctique.
Les cuisines nordiques sont sans doute les plus mal comprises au monde, explique en substance Magnus. Parce que le grand public a tendance à y projeter ses propres clichés à base de saumon gravlax, boulettes de viande, mûres polaires et autre confiture d’airelles. Voire à les résumer aux images glamour émanant désormais des tables étoilées de Copenhague, Reykjavik ou Malmö.
Voici une quinzaine d’années René Redzepi (Noma) et une quinzaine de ses pairs publiaient un manifeste de la cuisine nordique prônant la simplicité, la saisonnalité, les produits et traditions du cru. Le triomphe du «foraging», autrement dit la cueillette sauvage. Magnus n’a pas signé ce Dogma de la cuisine scandinave mais s’en est toujours dit proche. Et dans cette exploration nouvelle, il demeure certes en retrait en tant que chef vedette, mais abonde dans la célébration des identités retrouvées.
Afin de recueillir des données fiables, Magnus a donc mis en ligne un sondage, invitant le lecteur à répondre à une série de questions et à partager des recettes. Il découvre par ce biais une foule de renseignements précieux sur la manière d’apprêter des classiques tels les harengs marinés. Se rend compte que «ces pays si différents se ressemblaient bien plus qu’il n’avait imaginé» – certains apprêts considérés ici ou là comme des trésors nationaux apparaissant également ailleurs, dans des régions fort éloignées sous des formes cousines.
L’ouvrage commence par une suggestion. Pour découvrir la cuisine nordique, rien de tel que de commencer par déguster un sandwich au fromage: chacun de ses ingrédients a priori simplissimes a été porté à un haut niveau de qualité dans les différentes régions. Autres produits bruts, travaillés avec raffinement, les laitages et les œufs.
Pour l’anecdote, on apprend notamment que les Norvégiens sont très friands des œufs de goéland, alors que les Islandais préfèrent ceux des canards sauvages et que les indigènes des îles Féroé sont prêts à commettre des folies pour dénicher des œufs de pétrel fulmar, oiseau marin qui a pour particularité de nicher sur les falaises les plus escarpées et de défendre son nid avec véhémence.
Le climat rude de ces régions engendre la crainte de manquer et la connaissance approfondie des cycles des saisons, une relation très intime à la nature: la saison des cultures durant en moyenne 160 jours, de mai à septembre, doit permettre de faire des provisions pour le reste de l’année, traditionnellement complétées par la chasse et la pêche.
A cette fin, des techniques imparables et complexes ont été élaborées au cours de l’histoire: séchage, fumage, salaison, fermentation, caillage. Ces terres sont formidablement giboyeuses: élan, cerf, lièvre, la chasse un loisir national. Beaucoup de plume surtout, dont des espèces quasiment disparues ailleurs: grand tétras, bécasse, bécassine, grouse, gélinotte (pour lesquelles on vient de très loin jusqu’à Fäviken). Et puis des poissons et fruits de mer d’une qualité inouïe, les poissons des lacs et des rivières proches, des algues, champignons et autres plantes sauvages, d’innombrables baies (tiens, une soupe de cynorrhodon) fleurs, racines, lichens.
Un monde de simplicité et d’authenticité. Les apprêts sont ici regroupés par catégorie, complétés par un glossaire et de courts textes liés à leur l’histoire. Par exemple? Amusant d’apprendre l’origine des feuilles de choux farcies au porc, que l’on doit à un chef turc fait prisonnier au XVIIe siècle qui transposa les dolmas avec des ingrédients locaux.
De découvrir comment les Inuits préparent de la soupe et le pâté de foie de phoque. Qu’on chasse le macareux, ce drôle d’oiseau à bec flamboyant, à l’aide d’un filet à papillon. On ne testera pas forcément le requin putréfié islandais, mais on se réjouit déjà de comparer sous peu les variantes du gravlax pour le Réveillon.
Véronique Zbinden