Mort à 59 ans, en 1903, Joseph Favre n’a jamais cessé de pratiquer et écrire sur l’art de se nourrir. Un ouvrage, paru chez Favre, lui rend hommage.
Spécialiste de l’oreille, historien de la médecine, le professeur de médecine Albert Mudry est aussi un passionné de la bouche. Il est ainsi membre de l’Académie culinaire de France, née grâce à Joseph Favre (qui en démissionna avec fracas!), relancée en Suisse par le regretté Benoît Violier. Le Dr Mudry fut un proche du chef de Crissier, disparu il y a bientôt cinq ans, le 31 janvier 2016, avec qui il a rédigé la somme La cuisine du gibier à plume d’Europe.
Son ouvrage, Joseph Favre. Cuisinier et érudit, l’est aussi, érudit. Il faut parfois s’accrocher dans les méandres de la riche histoire des ouvrages culinaires, que l’auteur suit «à travers la truffe» et son usage. Parsemé de recettes en hors-texte, illustré de documents d’époque, ce livre dense place dans un contexte historique celui qui lança le «premier périodique écrit par un cuisinier» (La science culinaire, qui paraîtra cinq ans, à Genève, dès 1877). Né en 1844 (date que Mudry établit avec l’aide des archives, et non 1849, celle communément admise), originaire de Vex, apprenti cuisinier à Sion à 18 ans, puis «monté» trois ans plus tard à Paris, Joseph Favre s’établit finalement à Paris en 1883, après avoir tenu les brigades d’innombrables palaces et restaurants dans toute l’Europe, notamment en saison, dans des villes d’eau. Trichant sur son âge, il épousa une femme («imposante», écrit un témoin) de vingt ans plus jeune que lui, avec qui il eut un fils, Oreste. Malgré sa carrière parisienne, il «est resté un citoyen suisse et ne peut être considéré comme Français», souligne l’auteur.
Peut-on encore, aujourd’hui, se référer aux ouvrages du Valaisan? A la réimpression de son Dictionnaire universel de cuisine pratique (Omnibus, disponible en livre numérique), feu Jean-Pierre Coffe répondait sans hésiter: «Ce livre a un siècle et son contenu est totalement d’actualité. C’est l’œuvre d’un authentique visionnaire.» Même pour les non-cuisiniers, ses 1400 pages restent un régal, de A, comme Abaisse (pâte) à Z, comme Zython ou Zythum, «ancien nom de la bière». Pas moins de 5331 «formules» (recettes) le jalonnent, jusqu’au très suisse allemand Zwieback, montrant que le Suisse a gardé un lien avec ses origines... Ouvert sur le monde, donnant moult détails sur des ingrédients de toute la planète, parfois sur les vins, ce «dictionnaire» est aussi le témoignage de son temps, rappelle Mudry. Il s’inscrit dans le droit fil de Jules Michelet («Cuisine, c’est médecine; c’est la médecine préventive la meilleure») et de Brillat-Savarin («L’animal se repaît, l’homme mange: l’homme d’esprit seul sait manger», aphorisme légèrement réécrit par Favre lui-même).
Dans l’œuvre de ce cuisinier passé du piano à la théorie de la gastronomie, pour son biographe, «tout y est: la science, l’hygiène, l’art, bien sûr la cuisine, mais aussi la créativité, le fondement de toute chose», écrit-il, en conclusion d’une citation de Favre qui résume sa «mission»: «Préciser la valeur de chaque aliment naturel pour connaître les propriétés des mets composés, leur donner un nom simple et compréhensible qui révèle leur qualité, tel est le but auquel doivent tendre les efforts de tous ceux qui, comme moi, sont persuadés que la cuisine savante et raisonnée sera la cuisine de l’avenir.»
(Pierre Thomas)
Ecrit par Albert Mudry, ce premier ouvrage biographique complet permet de bien comprendre l’importance du cuisinier valaisan.
«Joseph Favre. Cuisinier et érudit», Editions Favre, 424 pages, tout en couleurs, ISBN 978-2-8289-1852-1, 34 francs