Loin de l’offre tristounette des commerces spécialisés ou des régimes, la Genevoise concocte des recettes délectables à l’enseigne des Intolérants gourmands.
Asperges locales et pesto d’ail des ours, gnocchis de patate douce, riz vert de brocoli et autres nids de polenta, pour ne rien dire des desserts: parmi les effets bénéfiques du confinement, les petits bijoux de recettes que livre jour après jour Pia Gans de St. Pré via les réseaux sociaux… Elle n’est certes pas la seule au royaume des foodistas, et de loin, qu’ils/elles soient professionnels ou juste amateurs, chefs, pâtissiers ou blogueurs.
Mais il y en a pour tous les jours et franchement toutes sont alléchantes, simples et colorées, à faire parfois en famille; elle devrait d’ailleurs les publier bientôt dans son premier livre de recettes.
Plus original – à les regarder défiler en vitesse sur les réseaux sociaux, on ne se doute pas que ces recettes ont un autre point commun: toutes sont dépourvues de gluten et de lactose. Damned, mais qui est Pia Gans de St. Pré? Cette pétillante quinqua à l’énergie juvénile, tout de noir vêtue, des bottines aux griffes félines, a changé de vie à la cinquantaine. Issue de la décoration, elle crée Les Intolérants gourmands en 2016 et connaît aujourd’hui un joli succès, qui ne doit rien aux effets de mode.
Née en Grande Bretagne d’une mère anglaise et d’un père français, arrivée en Suisse à l’âge de cinq ans, Pia a une première formation de décoratrice et scénographe: elle travaillera une trentaine d’années pour le cinéma, la télévision, la pub et le théâtre. Avec un sens esthétique et une belle créativité qu’elle n’a certainement pas abdiqués en changeant d’univers. Gourmande et amatrice de bons petits plats réunissant de grandes tablées, dotée d’un palais exigeant, Pia découvre très jeune déjà les restos étoilés en famille. Pendant longtemps, elle vit sur les chapeaux de roue, passionnée par son job et faisant passer sa santé et ses soucis digestifs au second plan, jusqu’au jour où elle est diagnostiquée intolérante au gluten et au lactose.
«Un diagnostic terrible pour moi qui suis tellement gourmande», suivi d’une visite chez une diététicienne qui lui remet une longue liste d’interdits. «J’ai acheté des livres, lu et suivi beaucoup des blogs anglo-saxons, découvert de nouveaux produits, expérimenté, raté, recommencé, découvert des textures et des saveurs nouvelles.»
Pas le genre à baisser les bras, Pia se lance au contraire avec gourmandise dans l’exploration, découvre qu’il existe de nombreuses alternatives au blé et au pain et que la pizza, entre autres, peut se réinventer. Elle suit un module de cours à l’Ecole de pâtisserie Alain Ducasse, commercialise ses deux premières recettes – un petit biscuit aux noisettes et un cracker aux graines, qui amorcent la suite –, tout en gardant d’abord prudemment son job.
Pia Gans de St. Pré crée son entreprise en 2016 à l’enseigne des Intolérants gourmands, déniche un laboratoire dans la zone industrielle de Carouge et y confectionne une petite gamme de produits SANS, distribués localement par quelques points de vente, tout en mettant sur pied des ateliers. Au bout de deux ans, épuisée, n’arrivant plus à répondre à la demande, elle décide de renoncer à la vente de ses produits pour se concentrer sur les ateliers et quelques événements: «La transmission, c’était mon truc, j’adore ça !»
La cheffe a donc mis sur pied un vaste programme d’ateliers, qui avaient été momentanément interrompus en mars par l’épidémie, mais partiellement transposés en version virtuelle. Elle propose d’apprendre à confectionner pains et brioches, pizza et focaccia à base d’ingrédients un peu différents, mais aussi des cakes sucrés, pâtes feuilletée et autres biscuits, en passant par le tofu et autres alternatives aux fromages, desserts lactés ou crèmes glacées.
Le bio est une évidence et elle pousse volontiers le fait maison jusqu’à l’intégrisme – allant jusqu’à moudre elle-même certains produits dans son petit moulin, pour obtenir des farines de lentilles ou de riz gluant introuvables dans le commerce ou alors à des prix dissuasifs.
On apprend ainsi à confectionner sa propre pâte de noisettes maison ou à utiliser la farine de souchet, un étonnant tubercule au goût très doux, confectionner des crackers de panais et farine de riz, des madeleines à la farine de châtaigne ou des brownies à la farine de riz, un gâteau à la carotte et au riz gluant japonais, des gaufres à base de millet, une foccacia à la farine de riz. Autant de petites merveilles inspirées par une créativité rare et une technique impeccable.
Mais encore? Comment travailler le sorgho, l’amarante, le fonio et la cameline, voire le millet, la quinoa, le maïs et le sarrasin. «Je me suis créé ma propre grammaire culinaire», répond-elle simplement lorsqu’on s’enthousiasme devant cette multitude d’alternatives au gluten.
«Je pars souvent des classiques que j’aime et j’essaie de les réinventer sans gluten, explique Pia Gans de St. Pré. Avec le temps, c’est devenu une autre vie. Je suis un peu monomaniaque: j’ai besoin de créer quelque chose tous les jours, je consulte beaucoup de sites et de blogs spécialisés, notamment américains et italiens qui sur ce plan on généralement une longueur d’avance sur la Francophonie.»
On le sait, la gamme des produits «sans» explose depuis quelques années, des sauces aux burgers et des pâtes aux pizzas, en passant par les céréales et la pâtisserie. Le hic? C’est rarement bon. En plus d’être généralement nettement plus cher que leur équivalent «avec». L’effet de mode est désormais bien présent chez nous aussi. «Un peu énervant» sans doute, il aura au moins permis à la cheffe «de faire connaître des produits formidables: Je suis ravie de contribuer à faire découvrir toutes ces alternatives incroyables et la manière de les travailler.» A noter aussi que Pia Gans de St. Pré propose aussi ses conseils aux chefs, traiteurs et professionnels de la restauration collective.
(Véronique Zbinden)