De Sven Wassmer à Elif Oskan, ils sont passionnés par leur terroir, qu’ils explorent sur un mode original, ultra-contemporain, rappelant les cousins nordiques. Portrait de groupe.
Eblouissant. Ceux qui ne connaissaient pas encore Sven Wassmer (7132 Silver, Vals) ont assurément été bluffés par son show sur la scène de la dernière édition de ChefAlps, à Zurich. Par exemple? Un omble de montagne en papillote aux parfums de bourgeons de sapin, légèrement fumé et cuit à basse température, souligné par une réduction extrême de crème de montagne, caramélisée. Ou ce Swiss dim sum: la recette traditionnelle des Brienzer Ravioli, à base de pommes de terre de Malans, haricots secs et oignons, revisitée sur le thème de l’umami. Une pâte ultra fine et une cuisson ultra light, un bouillon style dashi et quelques flocons de viande sèche au lieu de la bonite chère aux Japonais. Un plat bourré d’umami, mais aussi d’intelligence et de recherche qui vaut à Sven Wassmer deux étoiles Michelin et le titre de révélation alémanique 2018 au Gault & Millau.
Ce n’est pas tout: Sven forme avec sa femme Amanda Bulgin, Master of Wine, un couple étonnant à la ville comme à la scène: «Je m’identifie à la cuisine de Sven et ma philosophie est de concevoir des accords mets-boissons comme autant d’expériences.» Pas question pour Amanda de miser sur la facilité: le «pairing» doit exposer une opinion, provoquer des émotions». Ne pas hésiter à bousculer, provoquer, marier des goûts nouveaux, en partant de la composition moléculaire des ingrédients pour déboucher sur un monde de possibles. Par exemple? Un thé aux herbes de montagne avec l’omble. Un grand madère, complexe, aux arômes de noix, d’abricot sur le Swiss dim sum.
«Un plat se construit à partir du goût, autour duquel s’articulent l’émotion, l’esthétique, le respect de la nature», dit en substance Sven Wasmer. Fabian Fuchs (EquiTable, Zurich), Markus Burkhard (Jakob, Rapperswil) Elif Oskan (Miss Marshall et Rosi, Zurich), Pascal Haag (ex Hiltl) se retrouvent sur ces mêmes notions de terroir, d’éthique et d’émotion, de naturel et de transparence: tous trentenaires, ils incarnent la nouvelle cuisine suisse.
A la tête d’EquiTable depuis cinq ans, Fabian Fuchs a travaillé auprès des étoilés zurichois David Martinez et Peter Schnaibel, été le sous-chef de Nenad Mlinarevic, avant de puiser des inspirations à Sydney, Londres et en Asie. «Nordic style et produits suisses», dit-il aujourd’hui pour poser le décor de sa cuisine. Nouvelle cuisine suisse, ingrédients bios et locaux pour un resto arborant un macaron Michelin et 16/20 au Gault & Millau. Un puriste appréciant la créativité de son métier, mais aussi le côté fou et jusqu’au boutiste de ses producteurs, tel le Bernois Stefan Brunner capable de cultiver des melons inouïs et dix variétés de concombres. Des plats qui lui ressemblent? Un omble confit, pickles, barba di frate crue. Ou ce dessert mêlant rhubarbe, lait, sureau.
Les Zurichois et les Foodies la connaissent sous le nom de Miss Marshall. C’est sous ce pseudo qu’Elif Oskan crée des desserts depuis 2015, rien que des desserts, mais quels desserts! Des glaces féeriques, anticonformistes, qui réinventent le genre - de la pomme de terre violette des Alpes, croustillants de pelures, au bourgeon de sapin en passant par l’argousier, l’églantine et le genièvre – turbinées à l’azote liquide pour un maximum de moelleux, d’arômes et d’intensité, un minimum de sucre et de corps gras... Et on ne vous dit rien de ses gâteaux. Miss Oskan, originaire d’Anatolie – patrie des glaces et du baklava, comme le lui rappelle parfois sa maman – arrivée en Suisse à l’âge de deux ans, est entrée en cuisine par hasard, rêvant juste d’une «voie créative». Après l’école de cuisine, elle travaille avec Marcus Lindner au Sonnenberg, au côté d’autres étoiles montantes, de Nenad Mlinarevic à Sven Wassmer: «Une période exigeante, mais aussi tellement de talents et d’énergie!» Après quoi, Elif part pour Londres: chez Blumenthal, au Fat Duck, elle rencontre son futur compagnon, Markus Stöckle, avec qui elle ouvre Rosi en janvier dernier dans le Kreis 4: «Cuisine bavaroise contemporaine, rafraîchie, revue» – et déjà un grand succès, en attendant l’ouverture d’un deuxième resto fin 2018, autour de ses propres racines culinaires.
C’était un hôtel-resto de village, sur une jolie place de Rapperswil et une des voies du pèlerinage de St-Jacques. Markus Burkhard a repris Jakob fin 2015, opérant une conversion radicale. On n’est pas loin du Noma 2.0 et du concept de Farm to Table. Après un apprentissage classique à Berne, Markus est passé par le Park Hotel de Gstaad, le Victoria à Interlaken, le Clouds à Zurich, avant de mener sa petite révolution à Rapperswil. Une révolution qui n’a pas été d’emblée une réussite. Pas facile de convaincre la clientèle locale de venir manger des menus surprises entièrement basés sur des produits locaux. Le concept? Pas de carte mais un menu surprise, uniquement le soir, à géométrie variable, comprenant de trois à sept plats. Poissons du lac, viandes des vallées alpines, fruits et légumes bios inouïs issus du Carbonic farming, démarche plus ultra encore que la permaculture.
Trois exceptions à l’origine locale: le café, le chocolat, les vins. «L’important, c’est la passion du produit et la transparence, note Markus, très proche de ses producteurs. Ses plats fétiches? La carpe du lac en escabèche, chou rave, fleurs et racines de raifort. Ou le risotto de tournesol, épinards, radis au bleu de Lichtensteig.
Enfin Pascal Haag est l’électron libre du groupe. Après avoir été sept ans durant le créateur des recettes du chic Hiltl, plus ancien restaurant végétarien d’Europe et toujours à la page, il est désormais indépendant, organise des événements et donne des cours de cuisine végétarienne et végane. A 33 ans, l’inventeur du tartare végétarien est aussi passé par le Dolder; pour avoir exploré l’Asie et le Proche-Orient, il se définit comme profondément nomade. Les voyages sont au cœur de son inspiration, mais aussi les épices, les légumineuses et la diversité du règne végétal. Il crée toujours des recettes, dont celles du formidable Leaf to Root, cosigné avec la blogueuse Esther Kern et primé à plusieurs reprises.
(Véronique Zbinden)