Le plus grand aquarium-vivarium d’eau douce d’Europe a dévoilé ses méandres à la presse. En avant-première, visite guidée d’un chantier pharaonique.
On a évoqué, bien sûr, les surcoûts, les changements multiples survenus dans le planning et le dessein initial, la date d’inauguration repoussée à plusieurs reprises et désormais fixée, croisons les doigts, à fin septembre. Des 50 millions budgetés, on est passés à 65 millions pour l’aquarium. Certes, mais «le projet n’est plus le même», nuance Bernard Russi, PDG du groupe Boas et principal bailleur de fonds. Le vivarium s’y est ajouté, cadeau encombrant et néanmoins bienvenu avec son réservoir vivant de specimens formidables, des varans aux crocodiles. L’hôtel a entre-temps ouvert ses portes, en mars 2015, avec ses 143 chambres. Plutôt que de louer les surfaces vacantes à des entreprises, il a finalement été décidé d’ajouter un centre de conférences pour contribuer à rentabiliser l’opération. L’esplanade, enfin, a dû être revue et des jets d’eau ajoutés, en raison des dangers liés au plan d’eau prévu initialement.
Aquatis demeure quoi qu’il en soit un projet magique, gigantesque, pharaonique. Un paquebot géant échoué à Vennes, entre autoroute et métro. Seul l’extérieur a son aspect définitif de coque circulaire, habillée d’écailles argentées semblables à l’épiderme d’un poisson géant. A ce stade, tout est béton brut et tuyauterie géante, panneaux de bois, matériaux empilés, odeurs de vernis et de colle, ballet des équipes qui s’activent. Mais à l’intérieur, le ventre d’Aquatis est un work in progress. Ici, un spinosaure grandeur nature est en cours d’assemblage. Là, des palétuviers attendent leur mangrove. Un peu plus loin, une serre tropicale géante est en devenir.
L’idée originelle d’Aquatis n’a toutefois pas varié. Ce sera «un musée de l’eau destiné à sensibiliser le public à la sauvegarde des espèces et de la planète», relève Bernard Russi. Faire rêver mais aussi réfléchir.
Le concept mêle la présence d’espèces vivantes et fascinantes à une scénographie innovante pour un effet d’immersion maximal. On la doit à Frédéric Ravatin de Créatime, qui a notamment signé la remarquable scénographie de la Grotte Chauvet. On voyagera dès lors sur tous les continents, le départ se faisant en Europe. La biologiste Angélique Vallée-Sygut, passée par le Musée océanographique de Monaco, a pris la direction scientifique du projet: «Le parcours, sur deux niveaux et 3500 m2, nous entraîne du Rhône et de sa formation dans une grotte glaciaire au delta camarguais avec son envol de flamants rose», explique-t-elle. L’étage supérieur présente, rencontre improbable, un spinosaure. «Il s’agit d’un dinosaure amphibie qui se nourrissait de poissons et nous permet d’aborder le thème de l’évolution des espèces.»
Des régions tempérées, le visiteur accédera ensuite à l’Afrique, avec notamment son bassin de crocodiles sacrés, que les visiteurs verront nager. Au coeur du bâtiment et sur ses deux niveaux, la serre tropicale géante de 533 mètres carrés accueillera les espèces impressionnantes de la forêt amazonienne, des piranhas aux pacus. La visite se poursuit du côté de l’Asie, ses mangroves et l’écosystème particulier de ses rizières, mais aussi l’Indonésie et le varan de Komodo. Au total, 20 écosystèmes et 46 aquariums-vivariums alimentés par deux millions de litres d’eau douce accueilleront une centaine de reptiles et quelque 10 000 créatures aquatiques des cinq continents.
Pour l’heure, la majorité desdites créatures ne sont pas arrivées, faute d’espace. Les specimens déjà présents sont confinés en quarantaine jusqu’au dernier moment, dans des bassins de taille réduite, afin de leur éviter le stress du chantier, de s’assurer qu’ils ne sont pas porteurs de maladies et s’acclimateront bien à leurs futures conditions de vie. Parvenus sur les lieux en éclaireurs, deux très beaux arapaïmas, ces géants pouvant atteindre plus de 4 mètres dans leur biotope amazonien, démentent l’idée selon laquelle la faune d’eau douce serait terne et peu spectaculaire. Recouverts d’écailles dorées aux reflets rouges, ils mesurent déjà un bon mètre de long. Dans le bassin voisin, un petit groupe de raies léopold à la robe noire tachetée de jaune, tout aussi spectaculaires: contrairement à toute attente, elles se sont déjà reproduites à cinq reprises, engendrant une flopée de bébés qu’il a fallu donner à d’autres aquariums. Les piranhas sont eux aussi installés en quarantaine, pas vraiment impressionnants pour l’heure. Leurs cousins pacu, omnivores et moins féroces, devraient en revanche atteindre un bon mètre de long. Enfin, quelques poissons-alligators, espèce présente dans le Mississipi, font mentir une autre idée reçue selon laquelle les poissons ne seraient pas des créatures sociables. Le premier arrivé, installé seul dans son bassin, a refusé de s’alimenter durant plusieurs mois, vivant sur ses réserves et dépérissant à vue d’oeil. Jusqu’au jour où il a été enfin rejoint par des congénères…
(Véronique Zbinden)