Les vins blancs suisses deviennent de véritables références en terme d’accords gastronomiques. Petite revue d’effectif pour s’en convaincre.
Les vins blancs suisses sauront occuper la place qu’ils méritent sur les tables suisses. Les riches propositions du Swiss Wine Tasting permettent de le vérifier. Ce rendez-vous annuel zurichois s’impose pour 150 producteurs de haut niveau. Il abrite le terreau de deux concours hors norme: le Vintage Tasting proposant des nectars de dix ans d’âge et, grande nouveauté, le Golden Vintage Award avec des vins de vingt ans d’âge, un concours dont personne ne rêvait dans notre pays voilà encore dix ans.
Créateur du Swiss Wine Tasting, Andreas Keller n’en revient toujours pas de la qualité des vins: «Tous les trois ans nous dégustons le trésor de la Mémoire des vins suisses constitué par nos 59 producteurs des six régions viticoles et, à chaque fois, la qualité du vin reste présente comme sur 2014. Un millésime difficile dû à la drosophile du cerisier dans les vignes et où la majorité des vins conservent un très bel éclat. Alors cette année nous nous sommes dit, poussons encore notre audace plus loin avec un concours ouvert au 2004. Certains vignerons, sceptiques, nous disaient qu’ils n’avaient aucune assurance sur le vin. Evidemment, sur ce type de nectar, rien ne peut se définir de manière régulière, nous n’avons pas de certitude, mais nous avons bien fait de suivre notre instinct en dégustant ces vins.»
Rien qu’à sa couleur, un vin blanc de vingt ans d’âge ne peut se comparer à rien de connu. A l’image, des dorures extrêmes du Dézaley-Marsens Grand Cru de la Tour, Vase numéro 4 des frères Dubois. Jamais on ne constate cela sur un chasselas jeune, son nez de paille, son extraordinaire arôme de coing permettent l’émerveillement. Alors oui voilà un temps pour le boire, avant qu’il ne se fane, mais il ne fait en rien son âge. Ce qui peut aussi étonner sur un 2004: une acidité noble maintenue. Comme sur ce chardonnay élevé en barrique du Château d’Auvernier, qui propose cette structure claire tout en penchant vers de jolies notes de pruneaux confits. Evidemment: les maîtres en vieillissement radieux restent souvent les Grains Nobles valaisans, confirmation avec l’ermitage du Château de Tourbillon, de Provins qui obtient la meilleure note du concours pour un blanc avec un mérité 18. Une dimension florale de l’églantine au nez, puis en bouche, une valse d’arômes, de la verveine, un bouquet d’herbes. «Et dire que Madeleine Gay qui vinifiait ce vin ne croyait pas au potentiel de ce millésime», sourit Andreas Keller.
Passons au millésime 2014 et d’abord à l’expressivité des chasselas, toujours une bonne introduction. Ce qui étonne le plus sur un millésime de garde reste la volonté initiale du vigneron qui est préservée. Voilà ce que l’on retrouve parfaitement: dans l’équilibre fragile entre minéralité et amertume sur le Saint-Saphorin, Les Manchettes du domaine Monachon. Le completer, originaire des Grisons, dans sa version Malaserrebe du domaine Donatsch donne du plaisir par son intensité, ses arômes de pêche et sa noble acidité finale. Certains vins au contraire ralentissent le rythme, proposent une lenteur contemplative un brin farineuse, malgré une puissante aromatique de poivron vert de pêche comme ce sauvignon blanc coteaux de Dardagny, premier grand cru barrique du domaine Les Hutins.
Sur les nouveaux millésimes on remarque le travail précis sur les lies à la Cave Ozenit, en Valais, orchestré par l’œnologue Delphine Dubuis qui exerce aussi son talent chez Jean-René Germanier. Pour la jeune cave Ozenit qui existe depuis 2023, la petite arvine de Saillon 2023 reste sur lies dix mois, elle impose sa puissance en bouche et sa belle salinité. L’heida Saillon 2023 reste six mois sur lies ce qui donne un vin profond et gras avec des notes d’écorces de citron. Autre savagnin passionnant et élevé sur lies dans une région où on l’attend moins, en terres de chasselas, au Château Maison Blanche à Yvorne, ce vin existe depuis 2007, sur son millésime 2022 il propose une jolie lenteur agrumée et mielleuse.
Les vins blancs suisses frappent par leur diversité et leur capacité à traverser le temps. Ils peuvent devenir les éléments forts d’une jolie table servi avec le «bio giorgi blu piccolo» de George Hofstetter, gagnant de sa caté-gorie bleue aux derniers Swiss Cheese Awards. Les bleus à l’âme s’éloigneront alors à coup sûr en vitesse.
(Alexandre Caldara)