Mediadaten Données Media Olympiade der Köche

Ehime mise sur son terroir

La plus grande préfecture de l’île de Shikoku a créé une unité de promotion unique en son genre, dont la mission est l’exportation de ses produits phares, notamment vers la Suisse

  • Tatsuhiko Kato a créé l’unité de promotion économique au sein de la Préfecture d’Ehime, dont l’action a boosté les exportations.
  • Nobuki Yagi, issu de la huitième génération, a repris la brasserie Yagi-Shuzobu de son père et diversifié la gamme de sakés.
  • Tsuyoshi Tamaoki, représentant la cinquième génération, est vice-CEO de Ichirokuhonpo qui emploie 345 collaborateurs à Ehime.

Situés au pied du mont Katsuyama qui domine la ville et au sommet duquel trône le château de Matsuyama érigé en 1603, les bureaux de la Préfecture d’Ehime abritent le département «Love & Smile». Derrière ce nom de code pour le moins intrigant se cache une unité de promotion économique lancée en 2012 par le gouverneur régional, et pilotée dès sa création par Tatsuhiko Kato.

Dans un premier temps dotée d’une équipe restreinte de trois collaborateurs, la structure a doublé ses effectifs l’année suivante et emploie aujourd’hui 12 personnes, dont une majorité de représentants qui sillonnent le Japon et le reste du monde pour promouvoir les produits issus de l’agriculture, de la pisciculture et de l’artisanat locaux.

Exportations en hausse


Dans le grand hall, le visiteur est accueilli par l’emblème d’Ehime, un nounours géant dont le visage est un mikan, ce fruit entre la mandarine et l’orange qui est l’un des quelque 50 agrumes à pousser dans la préfecture. Tout près de lui, la mascotte d’Imabari – un poulet géant à la frimousse adorable – s’affiche elle aussi, fière sur son socle, pour rappeler que la ville qu’elle représente s’est vu remettre un prix prestigieux pour la qualité de ses serviettes de bain, incontournables dans la plupart des hôtels de luxe japonais.

A l’étage, l’unité de promotion occupe plusieurs bureaux dont les murs arborent un florilège d’affiches promotionnelles, et où les produits les plus emblématiques sont réunis sur une grande étagère. Véritable âme de la structure même s’il en a récemment cédé la direction à Issei Yagi, Tatsuhiko Kato reçoit avec la bonhomie qui le caractérise. Longtemps actif dans la promotion de l’agriculture forestière, puis chargé de la revitalisation de secteurs économiques sinistrés, le sexagénaire se targue d’avoir participé à la création d’un outil unique en son genre. «Des 47 préfectures que compte le Japon, Ehime est la seule à s’être dotée d’une unité aussi ambitieuse, et dont les collaborateurs se caractérisent par un authentique esprit d’entreprise.

Nous sommes tous fonctionnaires, certes, mais nous vantons les produits d’Ehime comme si nous en étions nous-mêmes les producteurs», explique Tatsuhiko Kato. Si les efforts ont d’abord porté sur l’Asie du Sud-Est, proximité géographique oblige, ils se sont rapidement dirigés vers l’Europe et les Etats-Unis en raison de la relative immaturité des marchés asiatiques. Une démarche qui a vite porté ses fruits, du moins si l’on se fie à l’évolution du volume des exportations. Alors que les ventes se sont montées à l’équivalent de 8,6 millions de francs durant l’année fiscale 2012–2013, elles ont en effet plus que triplé au cours de l’exercice suivant (27 millions de francs), et pratiquement doublé à chaque fois les deux années suivantes (56 millions en 2014–2015, 90 millions en 2015–2016).

«Pour ce qui est de l’exercice en cours, nous en sommes à 73,2 millions de francs pour les neuf premiers mois, et, vu les résultats que nous enregistrons depuis le début de l’année, nous nous attendons à dépasser notre précédent record à l’issue du dernier trimestre», se réjouit Tatsuhiko Kato. Dans le cadre de cette stratégie déployée à l’échelle du globe, le marché helvétique joue un rôle central. D’une part, la Suisse est liée au Japon depuis le 1er septembre 2009 par un accord de libre-échange et de partenariat économique (le premier conclu entre le Japon et un Etat européen), ce qui facilite l’importation des denrées; d’autre part, Ehime dispose en Suisse d’une ambassadrice permanente en la personne de Kathy Shiraishi-Ishimitsu, ancienne fonctionnaire internationale installée à Genève depuis 1975, et directrice de la société KSLeman Consulting qui sert de relais à la Préfecture d’Ehime.

C’est d’ailleurs sous son impulsion que des producteurs de saké de Shikoku ont eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises des professionnels de l’hôtellerie-restauration suisse, notamment dans le cadre d’une opération menée conjointement avec Anne-Sophie Pic qui a élaboré un menu accompagné exclusivement de sakés dans son restaurant de Lausanne. Au cours de cette action qui remonte au printemps 2016, le barman Tsuyoshi Miyazaki a parallèlement animé une master class sur le thème des cocktails à base de saké, une manière de balayer les idées reçues sur cette spécialité japonaise souvent considérée à tort comme un alcool fort, et dont la grande variété de saveurs permet de nombreux accords.

Un relais de croissance important


La haute gastronomie n’est pas l’unique débouché pour les produits d’Ehime. En Suisse, le commerce de détail représente un relais de croissance important, d’où la présence au siège de la Préfecture de Tatsuya Uchitomi, propriétaire et directeur des boutiques de spécialités japonaises Uchitomi à Genève et Lausanne. Dans le cœur de ce natif d’Hiroshima installé en Suisse depuis plus de 40 ans, Ehime occupe une place à part. A l’âge de 10 ans, il a en effet été scolarisé pendant une année à Matsuyama, où son père, pâtissier de formation, avait été muté. Sa première rencontre avec l’unité de promotion date de 2013, quand il a participé avec deux de ses représentants à la Fête japonaise de Carouge.

Dès cet instant, Tatsuya Uchitomi a intégré des produits d’Ehime à son assortiment – sakés, agrumes sous différentes formes, gâteaux, etc. –, et, lors de ses voyages réguliers au ­Japon, il garde toujours un œil ouvert sur les nouveautés dans le but de diversifier sa gamme et remplir les deux containers qu’il achemine tous les mois vers la Suisse. Trait d’union entre les producteurs locaux et les importateurs étrangers, l’unité de promotion est un partenaire précieux dans le cadre de la recherche de nouveaux produits.

A l’occasion de la venue de Tatsuya Uchitomi à Ehime, un programme incluant la rencontre avec des artisans et la découverte de plusieurs sites de production a ainsi été mis sur pied. De cette visite sur le terrain se dégage une évidence: la préfecture bénéficie de l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs qui perpétuent la tradition en y apportant leur touche personnelle.

Deux exemples emblématiques

 C’est le cas notamment de Nobuki Yagi de la brasserie de saké Yagi-Shuzobu à Imabari, dont la création remonte à 1831. Représentant la huitième génération, il a été initié à la fabrication du saké dès son plus jeune âge, et, s’il a entrepris des études universitaires dans le domaine de la comptabilité et travaillé pour différentes sociétés de consulting, il a toujours su qu’il reprendrait un jour le flambeau. D’abord responsable du volet administratif, il a travaillé pendant trois ans aux côtés de son père avant de lui succéder. «Quand j’ai commencé à m’intéresser au processus de fabrication, il y a eu quelques tensions entre nous, mais j’ai vite compris que je devais faire les choses à ma manière», explique Nobuki Yagi. Sa philosophie est différente de celle de ses aînés dans la mesure où il explore la piste des accords mets et saké, alors que le nihonshu a longtemps été considéré comme l’élément central d’un repas, et non un accompagnement.

C’est pourquoi il se livre à de nombreux essais, notamment à travers l’utilisation de nouvelles levures. Avec des résultats probants à la clé, et les louanges du sommelier Paolo Basso qui a apprécié l’acidité et la belle longueur de ses sakés lors d’une récente dégustation. Dans un autre registre, Tsuyoshi Tamaoki est parvenu lui aussi à moderniser l’entreprise familiale, Ichirokuhonpo, fondée en 1883. Pendant 130 ans, cette dernière a produit une spécialité unique, soit un gâteau roulé et fourré avec une pâte de haricot rouge parfumée au yuzu, dont l’histoire se confond avec celle d’Ehime et du Japon. «Douanier en 1647 à Nagasaki, à l’époque où tout contact avec l’étranger était interdit, un seigneur de Matsuyama est allé négocier avec l’équipage d’un navire portugais qui mouillait au large de Kyushu pour le convaincre de s’en aller. La légende veut qu’on lui ait offert à bord une tranche de gâteau roulé à la confiture d’agrumes, qu’il a demandé à son chef de recréer une fois de retour à Ehime», raconte Tsuyoshi Tamaoki, âgé d’une trentaine d’années, et représentant la cinquième génération.

Dans un premier temps réservée à la noblesse, la spécialité s’est démocratisée à l’ère Meiji, jusqu’à devenir une douceur appéciée de tous les Japonais. Il y a trois ans, sous l’impulsion de son jeune vice-CEO, Ichirokuhonpo a lancé une nouvelle variété au macha, avant de multiplier les spécialités saisonnières (cerisier au printemps, marron en automne, sésame noir en hiver, thé citron l’été dernier) afin d’étoffer l’offre. Emblématiques, ces exemples ne sont de loin pas des cas isolés.

La preuve avec les entreprises Hodono Syouten (qui produit un tofu frit se conservant à température ambiante, et qui, sur la base d’une dégustation à Matsuyama, peut être vu comme une alternative à la pâte à pizza), Minami Shikoku Farm (dont le coup de génie est la congélation de quartiers d’agrumes qui, dégustés comme une sorte de sorbet, remportent un franc succès à Tokyo) ou encore Omishima Juice Industry (spécialisée dans les jus d’agrumes et les confitures, et qui recycle les restes de matière première dans des vinaigres à forte teneur en fruits). Et Tatsuhiko Kato de souligner l’importance de ces sociétés à l’échelle régionale: «Elles contribuent au dynamisme économique d’Ehime et permettent son essor, tout en favorisant le retour des jeunes qui sont parfois tentés de partir dans les grandes villes.»

Patrick Claudet 
de retour de Matsuyama

Davantage d’informations:
<link http: www.facebook.com ehime.sales>www.facebook.com/ehime.sales
<link http: www.uchitomi.ch>www.uchitomi.ch

Facts & figures 25 mars

Ce jour-là aura lieu dans les boutiques Uchitomi de Lausanne et Genève une présentation de nombreux produits d’Ehime. La préfecture d’Ehime se trouve à Shikoku, la plus petite des quatre îles principales du Japon.
4,5 millions Le nombre d’habitants sur l’île de Shikoku, composée de quatre préfectures:
Ehime, Kagawa, Kochi et Tokushima.
Logée sur les rives de la mer Intérieure et protégée des ouragans et autres tsunamis,

Ehime est la plus prospère des quatre préfectures.
1,37 million Le nombre d’habitants recensés en 2015 dans la préfecture d’Ehime, dont la capitale Matsuyama compte plus d’un demi-­million de résidents.

La création d’une unité de promotion économique par la Préfecture d’Ehime remonte à 2012.