Sans remporter une seule des 13 catégories, les Frères (Christian et Julien) Dutruy, de Founex (VD) ont été acclamés «cave de l’année 2017». Un titre mérité pour des entrepreneurs audacieux.
Pour mieux peaufiner leurs vins, les deux frères ont quitté le centre de leur village de Terre-Sainte, sur La Côte vaudoise à la frontière genevoise, et construit, il y a deux ans, une cave aussi moderne que fonctionnelle. Ils ont mis en commun les deux domaines familiaux et reconstitué leurs gammes de vin. S’ils n’ont remporté aucun titre, deux de leurs vins se sont classés au deuxième rang, dans des catégories (relativement) marginales, qui montrent toute l’étendue de leur talent. En mousseux, leur rosé brut 2015, fruité, frais, un peu trop dosé à notre goût, s’est incliné devant un Brut de l’Orpailleur 2014, d’une belle vinosité, du Valaisan Frédéric Dumoulin. Et en liquoreux, leur gewurtraminer, complexe et subtil, d’une belle fraîcheur, n’a pas tenu la distance face au monumental Domaine Tourbillon 2012, de Provins-Valais, mais devance le très réussi johannisberg Saint-Martin 2013 d’un autre poids lourd valaisan, le Domaine du Mont-d’Or.
Dévoilés à Berne, le dernier jour d’octobre, lors d’un gala, ces résultats du haut du tonneau du Grand Prix du Vin Suisse avaient été scellés les 9 et 10 août à Sierre par un jury adhoc d’une dizaine de dégustateurs, dont faisait partie le soussigné. Difficile, dans ce contexte, de contester les victoires d’un curieux, mais très réussi assemblage blanc, humagne blanche-petite arvine, Apriori 2016, signé de l’œnologue bâlois Valentin Schiess, de Vinigma, réalisé à Salquenen dans la cave d’Amédée Mathier. Long, frais, d’un splendide équilibre, ce vin s’impose comme le meilleur vin blanc du concours.
En rouge, le titre revient à un merlot 2013 puissant et fortement boisé de Piccola Vigna, à Coldrerio, au Tessin. Il a dominé sa catégorie monocépage, devant le remarquable Bernardin 2015 signé Rodrigo Banto pour le chef Bernard Ravet, chez Uvavins, à Tolochenaz (VD). Dans la nouvelle catégorie des gamarets-garanoirs, suavité, puissance, et boisé — encore! — pour le vainqueur, Légende 2015 du Domaine du Centaure, à Dardagny (GE).
En pinot noir, belle typicité du cépage récompensée avec le Clos de la Coutaz 2015 de chez Jean-René Germanier, à Vétroz Intéressant aussi, à base de diolinoir, l’assemblage rouge vainqueur, Plural 2015, d’un élaborateur zurichois réputé pour ses pinots noirs, Erich Meier, à Uetikon. Fraîcheur de fruit et bon soutien acide récompensés en gamay, avec le 2016 de la Cave Mabillard, à Champlan (VS). Le seul cornalin confronté à cinq syrahs — chaque catégorie comportait six nominés — le 2016 de Leukersonne, à Leuk (VS), l’a emporté au nez et à la barbe d’une somptueuse Syrah Réserve 2015 des Papilloud, père et fils, de la Cave du Vieux Moulin, à Vétroz, et la Syrah 2015, luxuriante, du nom du vigneron le plus titré des dix premières années du Grand Prix, Diego Mathier, à Salquenen.
En vins rosés, beau triplé neuchâtelois avec trois «œils-de-perdrix», tous de 2016, où le discret classicisme des Petits Crêts, de la Cave des Coteaux, à Areuse, s’est imposé devant la puissance et la vinosité du cru de la famille Porret, à Cortaillod, et la fraîcheur agréable de celui des Caves du Château d’Auvernier.
Retour aux blancs, enfin, dans des séries plus difficiles à juger: en chasselas (tous de 2016), le fendant, de Martigny, d’Alexis Jacquérioz, est monté sur la troisième marche du podium, derrière deux Saint-Saphorin (VD), le Bellevue des frères Rogivue, à Chexbres, champion suisse, et La Rionde, de Patrick Fonjallaz, à Epesses. Victoire un tantinet surprise d’un riesling x sylvaner des Grisons, de Obrecht, connu pour ses pinots noirs, dans la catégorie réservée au cépage alémanique, officiellement, le Müller-Thurgau. Et le Valais affiche encore un titre (pour un total de six…) dans la catégorie des «autres cépages blancs», avec une petite arvine 2015 de la Cave du Rhodan, d’Olivier Mounir à Salquenen. Dernier titre attribué, celui du meilleur vin bio suisse, un pinot gris surmaturé, «Vengeance tardive» (sic) d’une année 2016 particulièrement compliquée pour les producteurs bios, d’un récidiviste, Reynald Parmelin du Domaine de la Capitaine, à Begnins (VD).
Ce palmarès met ainsi fin au traditionnel «concours national» des vins suisses, qui, pour 2800 vins jugés à Sierre, à fin juin, avait attribué 303 médailles d’or et 616 médailles d’argent. Le Valais, avec 35% des vins, et Vaud, avec 26%, formaient le gros du peloton des participants.
(Pierre Thomas)