La victoire du Danemark au Bocuse d’Or 2019 montre l’importance de l’encadrement des candidats lors de la préparation. Mario Garcia, classé cinquième, l’a bien compris.
A vec la victoire de l’Américain Mathew Peters et l’émergence de nations telles que l’Islande (3e) et la Hongrie (4e), l’édition 2017 du Bocuse d’Or semblait avoir marqué un tournant. Certes, la Norvège s’était adjugé le Bocuse d’Argent, mais le 7e rang de la Suède et le 10e du Danemark avaient signifié pour certains la fin d’une ère marquée par la domination sans partage des pays scandinaves, lauréats à l’époque d’un total de sept statuettes dorées, neuf d’argent et quatre de bronze. En juin dernier, la finale européenne organisée à Turin, en Italie, est venue toutefois nuancé l’analyse en raison de la victoire de la Norvège et de l’excellente performance de la Suède et du Danemark, respectivement deuxième et troisième, à l’issue de la plus disputée des sélections continentales.
Le retour en grâce des pays nordiques s’est confirmé lors de la finale internationale qui a réuni les représentants de 24 pays les 29 et 30 janvier derniers à Lyon, en marge du Salon Sirha qui a vu sa fréquentation augmenter de quelque 16 000 visiteurs par rapport à la précédente édition. Le Danois Kenneth Toft-Hansen a en effet remporté l’épreuve devant le Suédois Sebastian Gibrand et le Norvégien Christian André Pettersen, tandis que Christian Wellendorf-Kleinert, qui a travaillé durant 5 h 35 aux côtés du grand vainqueur, a été élevé au rang de meilleur commis.
Si ce podium qui en rappelle beaucoup d’autres peut être considéré sinon comme un retour à la normale, du moins comme la preuve que le modèle scandinave est toujours aussi efficace, il est aussi révélateur de l’importance du coaching dans la préparation des candidats. Kenneth Toft-Hansen, il est vrai, a été accompagné dans sa campagne par Rasmus Kofoed, le seul cuisinier à avoir remporté le bronze (2005) et l’argent (2007) en plus de l’or (2011), et qui peut désormais se targuer d’avoir décroché la timbale en tant que coach également. Sans être dans le secret des dieux, on peut imaginer que sa présence a largement contribué à ce que le Danemark décroche le deuxième titre de son histoire. Une impression confirmée par le fait que la Hongrie, qu’il avait coachée en 2016, s’était imposée avec brio lors de la finale européenne, avant de décrocher, on l’a dit, une honorable quatrième place au classement final.
S’il est un chef suisse qui connaît Rasmus Kofoed mieux que personne, c’est bien Franck Giovannini. Lors de ses deux participations au Bocuse d’Or, le patron du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier (VD) a croisé le Danois sur sa route. «La première fois, en 2007, il avait décroché le Bocuse d’Argent alors que j’avais moi-même eu celui de bronze. Puis, en 2011, il a complété sa collection avec l’or quand j’ai terminé de mon côté au sixième rang. Nous sommes depuis devenus amis et nous nous croisons régulièrement, comme cela a été le cas en novembre dernier quand il a fait partie du jury de dégustation du Grand Prix Joseph Favre à Martigny», confie le président de l’Académie suisse du Bocuse d’Or.
Ce dernier confirme le rôle crucial joué par la préparation, et, dans le cas des Scandinaves, il souligne le fait que l’encadrement ne se limite pas au seul coach. «La force des Scandinaves est de réunir tous les anciens vainqueurs et de les impliquer dans le processus très en amont, non seulement au moment de la recherche des idées, mais aussi lorsque les premiers essais sont effectués en cuisine. Quiconque a déjà participé à un concours sait qu’au bout d’un certain temps, à force de répéter son programme, on n’est plus objectif, d’où l’importance de pouvoir compter sur un regard extérieur. Et comme chaque personne a son avis, la présence de cuisiniers chevronnés, auxquels s’ajoutent encore des designers et des graphistes, permet de faire la synthèse de tous les commentaires.»
Finaliste suisse et auteur d’une excellente performance qui l’a propulsé au cinquième rang, derrière la Finlande et devant la France – une première depuis le lancement du concours en 1987! –, Mario Garcia a parfaitement intégré la donne. «D’une part, il a libéré beaucoup de temps pour se consacrer entièrement au concours, ce qui constitue un changement fondamental par rapport à tous les participants helvétiques, qui, comme moi, ont dû s’entraîner le dimanche parallèlement à leur activité professionnelle. D’autre part, il a su s’entourer d’une équipe soudée, qui comprenait non seulement son coach Rasmus Spingbrunn, mais aussi de nombreux jeunes cuisiniers de talent, dont Ale Mordasini», souligne Franck Giovannini.
Ale Mordasini, membre comme Mario Garcia de la Société suisse des cuisiniers (ssc), était d’ailleurs à Lyon pour soutenir son camarade, et aussi le féliciter dès la fin de la cérémonie de remise des prix. La présence de celui qui pourrait marcher sur ses traces s’il est le meilleur candidat suisse de la finale du Cuisinier d’Or prévue le 25 février prochain ne s’est pas limitée au jour du concours; elle l’a accompagné tout au long de la campagne de préparation. Aussi bien au Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier où Mario Garcia est venu s’entraîner en présence d’Ale Mordasini et Lukas Schär, lui aussi membre de la ssc et finaliste du Cuisinier d’Or, mais aussi à Lucerne. C’est là, sur la plage du Lido, que Mario Garcia a installé un pavillon abritant une réplique de la cuisine qui l’attendait à Lyon, et ce grâce à une campagne de financement participatif. De ce dialogue permanent auquel ont aussi pris part Franck Giovannini et les membres de l’Académie suisse du Bocuse d’Or est né un état d’esprit conquérant, qui s’est traduit le jour J par un mélange d’ambition et de relative décontraction.
Dans son box numéro 7, dont il a pris possession dès 9 h 20 le mercredi 30 janvier afin de livrer son assiette à 14 h 20 et son plateau à 14 h 55, Mario Garcia a donné l’impression de maîtriser chaque étape de son programme. Malgré la pression inhérente à un événement de cette envergure, et en dépit aussi de la foule qui se pressait devant lui, le Lucernois est resté stoïque et a livré ses deux créations dans le délai imparti. Sa chartreuse de choux-fleurs aux moules avec sphère croquante aux herbes, et accompagnée de deux garnitures (cercle de choux-fleurs et herbes, salade de fine laitue frisée et de cresson; coeur de laitue romaine, mayonnaise aux herbes et boule de Belp) et d’une sauce (moules aux herbes, huile d’herbe et ciboulette), a séduit par son élégance. Quant à son plateau de carré de veau légèrement fumé, avec farce aux ris de veau, pousses de pins des montagnes suisses, fleurs d’oignons et thym, il a frappé les esprits avant même d’être présenté au jury et dégusté grâce au fumoir qu’il a conçu spécialement pour l’occasion, doté d’une paroi vitrée et de spots intégrés – une création abondamment photographiée par les représentants des autres nations!
La qualité de la préparation s’est traduite par un cinquième rang que Franck Giovannini qualifie de remarquable, même s’il dit comprendre la légère déception qu’a pu ressentir Mario Garcia au moment où il a eu sous les résultats complets de l’épreuve. Certes, le finaliste suisse visait le podium et il avait mis toutes les chances de son côté en s’entourant d’une solide équipe, mais il a propulsé la Suisse parmi les cinq meilleures nations du monde, alors que 68 étaient en lice au départ, et montré la voie pour les candidats qui lui succèderont.
(Patrick Claudet)
1
Danemark
Or, 2187 points
2
Suède
Argent, 2131 points
3
Norvège
Bronze, 2118 points
4
Finlande
2087 points
5
Suisse
2009 points
6
France
1998 points
7
Japon
1963 points
8
Belgique
1938 points
9
USA
1926 points
10
Grande-Bretagne
1838 points
11
Icelande
1765 points
12
Hongrie
1732 points
13
Canada
1724 points
14
Australie
1723 points
15
Italie
1670 points