Pour la directrice de la maison d’édition L’Age d’Homme, la cuisine végane s’apparente davantage à une forme de lutte sociale qu’à un mode de vie.
Le véganisme, un «trend» culinaire comme les autres? Le titre de la conférence qu’Andonia Dimitrijevic animera le 1er septembre en marge du Salon littéraire Le livre sur les quais à Morges (VD) pourrait le laisser entendre, mais la directrice de la maison d’édition lausannoise L’Age d’Homme précise d’emblée que ce n’est pas le terme qu’elle aurait personnellement choisi. «Plus qu’un mode de vie, le véganisme est une lutte sociale», lance celle qui a créé en 2013 la collection V (pour Vegan), comptant aujourd’hui une soixantaine de titres. Parmi ces ouvrages figurent un grand nombre de livres de recettes, mais pas seulement. «Certes, il est important de montrer que cette cuisine est tout sauf ennuyante, et qu’elle peut même se révéler innovante si l’on suit les suggestions des chefs faisant preuve de talent et de créativité. Mais nous publions parallèlement des essais sur la question afin de susciter une réflexion au sein de la société, ainsi que des livres pour enfants dans le but de rappeler certaines vérités.»
La première consiste à relever l’hypocrisie linguistique en vertu de laquelle les animaux les plus consommés sont désignés par un lexème différent suivant qu’ils soient vivants ou cuisinés. «On connaît tous l’exemple de la vache, de la poule et du cochon qui deviennent respectivement bœuf, poulet et porc une fois tués. Loin d’être anodine, cette transformation mensongère nous permet d’oublier que ce que nous mangeons, ce sont des animaux morts.»
Végétarienne depuis l’âge de 12 ans, poussée dans sa vocation précoce par les images d’une vache lâchée d’une grue puis battue pour qu’elle avance jusqu’à l’abattoir, Andonia Dimitrijevic voit dans l’acte de manger de la viande le signe d’un rapport de domination de l’homme sur l’animal. «Quand j’y ai renoncé, encouragée par le fait que j’étais déjà allergique aux produits laitiers et aux œufs, je voyais surtout la souffrance des animaux. Progressivement, j’ai pris conscience de leur exploitation à outrance par l’homme, à l’instar du cochon, utilisé dans la fabrication de plus de 500 produits. C’est la raison pour laquelle je suis devenue végane en 2009, renonçant également à porter du cuir, de la laine et de la soie.»
Quand on lui demande si elle constate une évolution des mentalités à mesure qu’éclatent les scandales alimentaires ou ceux liés à des conditions d’élevage dramatiques, l’éditrice lausannoise est mitigée. D’un côté, elle se réjouit de l’intérêt suscité par les livres qu’elle publie et du fait que le Bocuse d’Or ait introduit cette année le principe d’une entrée végane; de l’autre, elle craint que la priorité soit plus donnée à l’amélioration des conditions de production qu’à l’abandon pur et simple de la consommation de viande. «Plusieurs courants coexistent. Face aux abolitionnistes dont je fais partie, on trouve les welfairistes pour qui il est acceptable de tuer un animal si on le traite convenablement, sous prétexte qu’il est ainsi "heureux". Mais peut-on objectivement dire qu’une vache est heureuse simplement parce qu’elle est élevée dans un pré?»
Au-delà de la dimension idéologique de son combat, Andonia Dimitrijevic insiste également sur la notion de plaisir et de partage. D’ailleurs, son engagement est né de sa passion pour la cuisine. «Souvent seule parce que mes parents travaillaient beaucoup, je suis tombée, enfant, sur un livre de pâtisserie et j’ai commencé à confectionner des cakes et du caramel, sans pour autant suivre les recettes car j’étais déjà un peu rebelle. Avec le temps, et plus particulièrement depuis que je suis végane, la cuisine est devenue pour moi un moment privilégié.» Pour ce qui est de la dimension sociale du véganisme, elle s’exprime à ses yeux par sa capacité à rassembler: «Elle est adaptée à toutes les religions et elle convient à toutes les formes d’intolérances alimentaires.» A Morges, elle rappellera cette évidence et lèvera le voile sur les prochaines parutions de L’Age d’Homme, à commencer par un livre sur la pâtisserie végane, qui, elle l’espère, contribuera à grossir les rangs des «combattants» de la cause végane.
(Patrick Claudet)