Mediadaten Données Media Olympiade der Köche

Le vignoble savoyard sauvé grâce à l’AOP

C’est l’appellation d’origine contrôlée (AOC), ancêtre de l’AOP actuelle, qui a sauvé la Savoie en 1973. Le vignoble était tombé en bas, autour de 1000 hectares, et il a doublé en 45 ans, malgré l’urbanisation.

Le vignoble de la Savoie ressemble à celui du Valais. «On vend notre paysage, nos cépages originaux et la qualité de nos vins», dit un producteur. (Laurent Madelon Unité Création)

S ur la carte, le Léman est tout en haut et la vallée de l’Isère, tout en bas. Au nord, la région de Marin et de Crépy, prolongée par Ayse, dans la vallée de l’Arve, au sud, le bassin groupé en amont de Chambéry, sur les deux rives de l’Isère, où les Abymes et Apremont font face à Chignin et Arbin. Entredeux, dans leurs cluses, Frangy, Seyssel et Chautagne, en amont du lac du Bourget et Jongieux. Au total, une vingtaine de lieux dispersés, propices à la viticulture…

En plus des AOP, un effervescent est né en 2015 et a rejoint la famille des crémants, sous le nom de Crémant de Savoie. Il occupe une place à part pour mettre en valeur les cépages blancs locaux: il faut annoncer au printemps les parcelles destinées au mousseux et qui seront récoltées plus tôt, quand bien même les cépages savoyards ne manquent pas d’acidité. Le gel de ce printemps risque de coûter cher à cette nouvelle catégorie, les vignerons préférant attendre les vendanges pour se prononcer sur les rendements — ils ont, du reste, obtenu une légère hausse des quotas.

Dans l’attente de (grands) crus

S’ajoutent, ou se superposent, aux AOP, pas moins de 21 dénominations géographiques. En attendant des crus, pour lesquels la production doit entreprendre des démarches en profondeur — et pas seulement par carottages! —, en justifiant un historique, des manières culturales propres et des rendements inférieurs. Toute démarche qui guette aussi les vignerons suisses dans la nouvelle définition des AOP - IGP. «Nous aspirons à faire reconnaître une vingtaine de climats en crus, voire en 1ers crus, alors qu’actuellement, on nous interdit de mentionner les lieux-dits sur les étiquettes. Et on veut revoir les zones de crus pour la Jacquère, afin de monter en qualité», argumente Michel Quenard.

Aussi complexes soient-ils dans leur découpage, les vins savoyards restent des nains, à l’échelle de la France: à peine plus d’un demi-pourcent de tous les vins AOP. Mais les 16 millions de bouteilles produites chaque année sont vendues à 95% dans l’Hexagone. Et 70% sont bues sur place, dans les stations des Alpes.

La Savoie cultive une vingtaine de cépages, mais 70% de blancs. Dont la fort méconnue Jacquère: à elle seule, elle occupe la moitié du vignoble, au sud, dans la région de Chambéry. Avec l’Altesse, le Gringet, la Molette, la Mondeuse blanche, et les deux rouges, Mondeuse noire et Persan, elle fait partie de la liste des sept cépages cultivés quasi-uniquement en Savoie, si l’on excepte un peu de Mondeuse sur la rive suisse du Léman et dans le Chablais (vaudois), et de l’Altesse chez quelques Vaudois et Valaisans… «La Jacquère, qui est notre fonds de commerce, retrouve ses lettres de noblesse, grâce à sa légèreté», explique Charles-Henri Gayet, le président du comité interprofessionnel des vins de Savoie. Souvent, elle ne titre que 11% d’alcool pour une acidité vive.

Face à une densification croissante, dans le triangle Chambéry-Albertville-Grenoble, les vignerons viennent d’obtenir la modification d’un plan d’urbanisation, sanctionnant la sauvegarde du coteau viticole. «On vend notre paysage, nos cépages originaux et la qualité de nos vins», explique Philippe Grisard, un des trois frères d’une grande famille éclatée de Frètrive. Son frère, Michel, rénovateur de la Mondeuse, vient de prendre sa retraite, et lui s’apprête à confier son domaine de 17 hectares à sa fille, Nadège, aux études à Montpellier, et en stage six mois en Nouvelle-Zélande.

Entre pépinières et bio

Un des axes de la résistance de ce petit vignoble est la pépinière: 25 à 30 millions de plants sont fournis aux vignerons de France et du reste du monde. A Cruet, les adhérents de la cave coopérative sont même tous pépiniéristes! Dans cette région, adossée au massif des Bauges, qui fait face à l’éboulement du Mont Granier en 1248 (et qui lui a laissé une silhouette de Montagne Rocheuse spectaculaire), les vignerons ambitionnent d’adopter une «charte paysagère» et visent l’inscription à l’UNESCO de cet horizon tourmenté, où les vignes ne montent pourtant pas à plus de 450 m d’altitude, malgré le réchauffement climatique, tempéré par des micro-climats et des forêts denses.

Avec une relève motivée, les méthodes de culture évoluent. Les vignes ne sont pas toutes en pente, mais sur des «balcons» planes et mécanisables. Une vingtaine de domaines viennent de s’engager dans une démarche volontaire, sans label, de réduction des traitements phytosanitaires, encouragé et suivi techniquement sur cinq ans. «Avec l’humidité et nos cépages, les maladies de la vigne sont difficiles à éviter, et «le bio est très compliqué économiquement», plaide Philippe Grisard. Dans le sillage d’un autre mouvement, Défi, 8% du vignoble est en bio ou en biodynamie. La nouvelle génération aura, sans doute, son mot à dire.

Un vin blanc vif et minéral

La Jacquère — la moitié de la production savoyarde — garde une belle vivacité, puis évolue sur des notes miellées et minérales. Elle donne un vin plus tendu, plus âpre que le chasselas… suisse, ou même savoyard de Ripaille, Marin et Crépy, et ses (tendres) accents lémaniques. Dans ce contexte, on a bien aimé, les Jacquères du Domaine de l’Idylle, de la famille Tiollier (2016 et vieilles vignes 2015), un frais vin de Savoie 2015 du Domaine Vendange (le bien nommé), le Chignin 2016 d’André et Michel Quenard, La Sasson 2016, l’Apremont d’Adrien Vaucher, la Perle des Dames 2016 de Jean-François Maréchal, l’ambitieuse cuvée Vieilles Vignes 2026, de la coopérative Le Vigneron Savoyard, et la classique Jongieux 2014 du Domaine Dupasquier, à la fois florale (chèvrefeuille, jasmin) et miellée, déjà marquée par une évolution positive. Et les cuvées d’un jeune domaine, de Jeremy Dupraz à Apremont, majoritairement cultivé en lyre, la «simple» Le Moulin 2015, puis Les Terres Blanches 2014, aromatique et végétale, et la Phoenix 2015, qui tire son gras et sa puissance de sa vinification durant 18 mois dans œuf en béton, des vins vendus entre 7 et 30 euros.

Ces vins savoyards sont aussi introuvables en Suisse qu’un Dézaley ou un Calamin en Savoie… On peut être voisins et s’ignorer superbement. Alors que des centaines de famille de vignerons de Savoie et de la Vallée d’Aoste sont venus s’installer aux 15e et 16e siècles, pour repeupler Lavaux et La Côte à la suite d’épidémie, notamment de peste, comme le montrent deux ouvrages, l’un de Jean-Pierre Bastian, «Une immigration alpine à Lavaux» (Bibliothèque historique vaudoise), et le tout récent «La vite in val d’Ossola» (Silvana Editoriale).

(Pierre Thomas)


Davantage d’informations:

www.vindesavoie.net