Quelques plats dégustés dans un petit local sans prétention, quelques notes d’agrumes, des vins nature révélés, le miracle de la simplicité.
C’est une ancienne sellerie du centre historique de Bulle, derrière le château, façade un peu cachée, en retrait de la place, réaménagée pour accueillir un temps des ateliers de cuisine. Au lendemain de la pandémie, voici un an, Jean-Marc Dedeyne s’y est installé, accrochant l’enseigne de Com’ça à sa devanture, un nom qui allait bien à cette période d’incertitudes.
Parquet et décor boisé, cuisine ouverte et transparences, tout a été rafraîchi, doté de recoins secrets, d’un charme cosy. Là-dessus, il a commencé tout seul, toujours au four et au moulin, entre salle et cuisine, puis le succès aidant, s’est entouré d’une petite équipe: ils sont trois aujourd’hui, polyvalents et talentueux, à l’instar du jeune chef Leonardo Bielsa, passé de Crissier à Copenhague, au Relae – autant dire le grand écart. Jean-Marc est issu pour sa part de l’Ecole hôtelière en Belgique, œuvrant dans divers établissements de Bruxelles, Avignon et Montpellier, avant de reprendre la direction de la restauration à l’Hôtel Cailler, à Charmey, en 2011. Ce passionné de vins naturels a par ailleurs lancé sa société More than Wine en 2016, cédant ses parts à son associé en 2021 pour se concentrer sur cette nouvelle aventure. La troisième larronne Susana Soares, elle aussi touche-à-tout, étant la compagne de Jean-Marc. A trois désormais – ouverts cinq soirs et trois midis par semaine –, les journées ne s’en étirent pas moins interminables, avec un tel niveau d’exigence et des menus aussi travaillés.
Les menus, disait-on? On commence ce soir-là avec une exquise mini raviole, farce de cochon fermier et parfums corsés. L’entrée végétale est une petite merveille d’architecture gourmande autour du céleri, fondant, évoquant un coeur d’artichaut, crumble de pain grillé, câpres de Pantelleria et cédrat, le tout escorté d’un sabayon estragon pour la gourmandise. Autre entrée bouleversante, le brochet cuit dans son bouillon de navets façon dashi, masqué par un radis red meat rose vif, taillé à cru en dentelles semblables à des pétales de rose.
L’entrée végétale s’accorde avec un pinot blanc genevois (Domaine Mermoud, à Lully), qui rehausse ses notes de pain grillé et d’agrumes, alors qu’on accompagne la seconde entrée d’une malvoisie aromatique, pétillant naturel méthode ancestrale du Piémont (Tenuta Croci), dont la partition embaume et fait ressortir les notes florales du plat. Il faut suivre Jean-Marc Dedeyne pour son art d’associer et révéler réciproquement le velours d’un vin, la sensualité d’un plat – propre à convertir les plus irréductibles détracteurs des vins vivants. Là-dessus, le bœuf de Pascal Tercier, élevé à deux pas sur les alpages voisins, race ancienne d’hinterwald est magnifique, quoique plus attendu, classique avec ses garnitures de chicorée, oignon confit, panisse et jus à l’ail noir. On joue ici sur l’amertume, l’amer qui fouette et qui dévoile, rend plus gourmand encore son opposé.
Rien n’est figé, cela dit, tout évolue, le plat de viande classique a par exemple été redessiné le lendemain pour y ajouter une touche supplémentaire, une émotion, surprendre, interpeller: fini au barbecue, le bœuf est dès lors servi avec une raviole ouverte sauce au vin jaune, jouant sur une double texture. Le produit inspire, donne l’impulsion mais rien n’est écrit, ni immuable, Jean-Marc Dedeyne parle volontiers d’une «cuisine en mouvement».
Enfin, la conclusion douce du menu passe cette fois par un paris-brest praliné, sorbet aux agrumes. Le tout à un rapport prix-plaisir assez unique: 50 francs à midi pour un menu en trois temps, 85 le soir pour quatre plats et davantage de recherche. L’offre est entièrement revue chaque quinzaine et chaque semaine deux plats au moins sont remplacés. Il y a là une intelligence du produit, un souffle, une inspiration légère, poétique. Le miracle de la simplicité.
(Véronique Zbinden)
Jean-Marc travaille en direct avec ses producteurs, bios pour l’essentiel, uniquement locaux – du maraîcher de Sédeilles Urs Gfeller aux petits éleveurs et bouchers Pascal Tercier et Patrice Morier, du pêcheur de Clarens Henri-Daniel Champier aux fromages des alpages voisins, du Sapalet ou du Gibloux. Les bêtes sont achetées entières et en carcasse; tout est fait maison sauf le pain, excellent, que l’on doit à Antoine Junod. Tous sont cités sur le menu. Une manière de travailler et d’être, une éthique.