Il vient de rouvrir son Astrance 2.0 dans un lieu mythique de Paris, l’ancien Jamin de Joël Robuchon, et il est aujourd’hui de passage au Refettorio de Genève.
Il avait, comme tant d’autres, disparu des écrans radars à l’heure de la pandémie. Après avoir annoncé son départ de l’Astrance, en 2019, histoire de se mettre en quête d’un lieu plus grand, plus adapté à un propos ambitieux, il s’est mis aux pop-up et a joué les consultants. Pascal Barbot a notamment travaillé au Japon, s’est initié à la cuisine des temples bouddhistes coréens, a cuisiné en Suède et dans l’Océan indien. Les voyages, toujours, et le besoin de se réinventer, cette quête inlassable de saveurs nouvelles, de techniques et d’émotions rafraîchissantes venues d’Asie ou d’ailleurs.
«Je suis une éponge», dit-il volontiers: rien n’a changé au fond depuis les premiers émois du jeune conscrit découvrant l’outre-mer sur les marchés indonésiens, en Nouvelle Calédonie ou dans les Iles Fidji. Entre-temps, il s’est posé dans son nouveau cadre, celui de l’ancien Jamin de Joël Robuchon, un lieu mythique racheté en 2019 et qu’il aura fallu rénover et transformer de fond en combles, à la faveur d’un chantier gigantesque. L’Astrance s’est ainsi déplacée de quelques centaines de mètres, du côté du Trocadéro, gagnant au passage une dizaine de couverts et un salon privatisable, une cuisine de rêve, un décor de chêne et de pierre de lave, des tons crème et du lin, de jeunes plants jaillissant de chaque table.
Mais au fait, qui est ce quinqua à l’allure et à la silhouette toujours juvéniles, avec ses airs de Tintin rêveur, formé chez Alain Passard et qui caracolait hier encore parmi les places convoitées des World’s 50 Best Restaurants? Il naît du côté de Vichy dans un milieu modeste sans «rien de spécial: «L’ordinaire est fait de lard, de cochon, de chou, voire de poissons de rivière, que j’aime bien, mais je n’allais pas me limiter à mon terroir.»
Il faut dire que l’aventure commence véritablement par un voyage au long cours, quand à vingt ans le bleu embarque à bord du Jacques-Cartier comme volontaire du Service National. La marine, mais en cuisine. Stationné dans un premier temps en Nouvelle-Calédonie, Pascal profite de chaque permission pour s’embarquer dans des périples improbables, fait quatorze heures de mobylette ou de train pour aller dénicher des temples et des bouddhas enfouis dans la jungle indonésienne. «J’ai découvert en même temps les bases de la cuisine française et leur contraire, la pâte de cacahuète et le piment indonésien, les pêcheurs qui cuisaient leur poisson à même une noix de coco, la vanille et les fruits exotiques.»
Quand il débarque à Londres pour son premier job, de retour de l’armée, même curiosité et mêmes envies d’ailleurs – il n’a jamais vu de homard ni de langoustine mais choisit un restaurateur qui rentre de Thaïlande. Ce sera ensuite l’Arpège, cinq années marquantes auprès d’Alain Passard, premier grand chef français à avoir mis le légume en majesté. Il y apprend «un état d’esprit, une élégance du geste, une recherche de perfection». Et y rencontre son futur complice en salle et associé, Christophe Rohat. Ils ouvrent ensemble l’Astrance en 2000, dans une ruelle discrète du XVIe et dans un mouchoir de poche. Quelque 120 m2 permettant d’accueillir 25 convives à tout casser: «A l’époque, nous étions deux en cuisine et deux en salle. L’idée du menu unique est née naturellement de l’exiguïté des lieux. On me proposait parfois des produits sauvages formidables, parfaits, que je ne pouvais pas prendre parce que je devais suivre la carte et que je risquais d’avoir trop ou trop peu. C’était tout sauf un concept.»
Pascal Barbot, chef de cuisine, l’astrance à paris
Le sucré, le salé, l’amer, l’acide, l’umami évoluent désormais dans d’autres registres. Les assiettes dessinent des paysages neufs, mêlant en vrac – mais jamais au hasard – queue de bœuf, betterave, camembert, huître et pétales de chrysanthème; l’aubergine est laquée au miso, le foie gras mariné au verjus se métamorphose en millefeuille croustillant.
Le succès est immédiat, les listes d’attente souvent désespérantes. Première étoile Michelin au bout de trois mois, la deuxième après quatre ans et la troisième en 2007 (qu’on lui enlève en 2019 sans qu’il ne comprenne vérita-blement pourquoi). Entre-temps, l’idée du menu unique est copiée partout, au point de devenir un tic, voire une manie exaspérante. Cette philosophie permet certes de réduire le gaspillage, entre autres idées alors visionnaires: la semaine de quatre jours, une manière de gérer ses équipes en douceur, si loin de la brutalité de l’époque, une touche féminine et une attention à l’autre qui fait que pour lui la parité n’a jamais été un sujet. Beaucoup de jeunes talents ont ainsi éclos à l’Astrance et c’est pour lui une grande fierté, d’Adeline Grattard ou Tatiana Levha à Paris à André Chiang à Singapour ou Magnus Nilsson en Suède voire Shuzo Kishida à Tokyo.
A l’Astrance 2.0, le menu unique sera toutefois prolongé par une carte, mais on retrouvera assurément nombre des ingrédients et techniques fétiches qu’il a contribué à populariser au fil des ans, agrumes et piments, fermentations et pâtes d’épices, marinades de miso et dashis, juxtaposition poétique du proche et du lointain, du cru et du cuit, les algues ou l’ail noir, les inspirations en provenance de la street food ou, parmi ses derniers coups de cœur, la cuisine des temples bouddhistes coréens.
(Véronique Zbinden)
C’est aujourd’hui que Pascal Barbot investit le Refettorio, le projet solidaire lancé à Genève par Walter el Nagar, le temps de deux repas exceptionnels; sa manière d’affirmer «son soutien à de belles valeurs».