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Les Neuchâtelois célèbrent les origines de l’Œil de Perdrix

A travers une fête populaire estivale, 30 vignerons présentent leur vision de ce rosé de Pinot Noir peu cuvé. Des approches le plus souvent classiques et élégantes, parfois plus audacieuses.

Issu de pinot noir peu cuvé, l’Œil de Perdrix évolue à Neuchâtel dans son pays d’origine. Depuis 2023, l’Office cantonal des vins et terroirs célèbre ce rosé mi-juin, dans une grande dégustation à l’extérieur, au Jardin Anglais. Une fête populaire qui réunit 30 vignerons et dont l’esprit convient bien à ce vin simple, encore souvent servi à l’apéritif et bien connu en Suisse alémanique.

Les vignerons sont fiers de leur Œil. «Il reste bien ancré dans nos cœurs, même si on le travaille moins comme un nectar costaud et plus en finesse», explique Benoît de Montmollin, du domaine du même nom, à Auvernier, qui cultive en tout 50 hectares en biodynamie. Si on veut comprendre le goût que connaissent les Neuchâtelois depuis plusieurs générations et ce joli équilibre entre acidité franche et fruité dense, on peut commencer la dégustation par la cave Sandoz. Dans ce jeune millésime 2023, on trouve de jolies notes de cassis et un côté délicatement épicé. La majorité de leurs vignes se trouvent sur les hauteurs de la Ville de Neuchâtel, à La Coudre: «Pour l’Œil, nous procédons à une macération de quatre heures pour un vin élevé en cuve inox et nous n’effectuons pas de deuxième fermentation», explique Marylin Sandoz qui a repris, depuis deux ans avec son époux Patrick, le domaine familial fondé en 1934.

Une première étiquette en 1861

Cet emblématique vin rosé provient historiquement de la région, raison pour laquelle le Neuchâtel Œil de Perdrix est considéré par les connaisseurs comme «L’Original». Au Musée de la vigne et du vin, à Boudry, l’historien Patrice Allafranchini raconte: «Œil-de-Perdrix est une appellation générique de la viticulture dont on trouve les premières mentions au 14e siècle en Bourgogne. A l’époque, un Œil est un rouge qu’on n’a pas réussi à vinifier en blanc et qui avec le temps prend la teinte mordorée de l’œil d’une perdrix morte.» Les vins et terroirs eux se concentrent sur une autre partie de l’histoire: «C’est en 1861 que datent les premières traces de l’existence de l’Œil de Perdrix dans le canton de Neuchâtel. Louis Bovet, propriétaire encaveur à Areuse, fit imprimer une étiquette portant la mention Œil de Perdrix. On ne sait si c’est la plus ancienne ou la première, mais elle prouve la longue tradition dont est issue le Neuchâtel Œil de Perdrix.»

Un producteur mélange les traditions

Au Jardin Anglais, la plupart des producteurs restent dans une approche classique, malgré quelques franc-tireurs qui réussissent de jolis coups. Mais aucun ne s’aventure dans un Œil de Perdrix en assemblage avec du Gamay, comme dans d’autres cantons. Situé à Vaumarcus, à la frontière entre les cantons de Neuchâtel et de Vaud, Boris Keller vinifie un Rosé de Gamay, à Bonvillars, mais demeure ancré dans la tradition de Neuchâtel, même si avec son Klin d’œil il avoue s’inspirer des rosés de Provence. Par contre Jean-Claude Angelrath, au Landeron, reste le seul à s’amuser à combiner les deux traditions historiques du canton avec son Œil de Perdrix Non Filtré, alors qu’il s’agit habituellement uniquement de Chasselas: «J’ai réalisé des essais sur les trois couleurs et j’aime bien la matière que cela donne au rosé.» Il obtient un vin au fort parfum d’agrumes, avec un côté étonnamment madérisé.

Depuis 2023, l’Office cantonal des vins et terroirs célèbre mi-juin l’Œil de Perdrix au Jardin Anglais, à Neuchâtel. (dr)

A l’encavage de l’Etat de Neuchâtel, on opte pour un pressurage direct et une légère macération de quatre heures pour un résultat aromatiquement complexe avec d’intenses arômes d’orange amères. Autre domaine historique, datant, lui, de 1858, les vins Porret à Cortaillod où une sœur et un frère, Sophie et Martin, veillent depuis 2020 sur le domaine, travaillent en bio et développent de jolies cuvées parcellaires, comme les Calames en rouge. Pour l’Œil de Perdrix, ils conservent une structure classique, mais en vinifiant autrement que Sandoz: «Une macération d’une heure à une heure et demi, sans deuxième fermentation et un élevage en foudres», explique Sophie Porret. Cela donne un vin très expressif aux jolis arômes de framboise et au long final sur l’acidité qui accompagnerait très bien un plat de street food local. Comme ces beignets de palée onctueux et croquants de la pêcherie Jean-Philippe Arm, à Saint-Aubin, servis tout chauds, tout frais, à La Trinquette, à Bevaix. Le sommet de l’Œil de Perdrix de gastronomie, on le déniche à la Maison Carrée, à Auvernier où Jean-Denis et Alexandre Perrochet élèvent en biodynamie sur lies, avec une macération de deux jours et autour d’un pressoir antique un vin très intense. Sur le millésime 2023, on apprécie particulièrement les arômes de groseille et le final poivré.

Une des grandes énigmes liées à un vin comme l’Œil de Perdrix reste sa capacité de vieillissement, alors que beaucoup de producteurs considèrent qu’il faut le boire dans sa jeunesse. Nous avons tenté l’aventure avec un vin atypique, biodynamique. Un des seuls à oser le vin nature sur cette spécialité est Jean-Michel Henrioud, à Auvernier, dont nous avons retrouvé un Rosé d’Ici 2018 dans notre cave. Le vin ne développe pas une incroyable complexité, mais reste très tonique, avec de surprenants arômes agréables de réglisse et de quinine. Il semble parfaitement adapté à un vieil Etivaz d’alpage.

(Alexandre Caldara)