De la terre à la lune? C’est l’intitulé de l’exposition que Barcelone consacre au trio le plus étoilé de la planète Food. Visite guidée en compagnie de Joan.
Un tout petit cercle. Tracé au milieu ce qui était autrefois un quartier défavorisé de Gérone, Taialà, mais qui constitue désormais un des pôles de la gastronomie catalane et planétaire. D’un côté, Can Roca, l’auberge familiale modeste; de l’autre, au bout du coude dessiné par la rue, El Celler de Can Roca, l’avatar étoilé, encensé, bouillonnant de créativité imaginé par trois frères: Joan, Josep et Jordi Roca. L’exposition du Palau Robert, à Barcelone, se déroule à partir de ce cercle. Elle rend hommage au trio le plus fou et le plus inventif de la cuisine contemporaine à l’occasion de trente années de carrière.
A 80 ans, Montserrat Fontané, la maman du trio, une sacrée énergie, continue de cuisiner les petits plats de toujours – et tout le personnel de l’enseigne chic de Gérone traverse la rue pour y prendre ses repas. «C’est là que j’ai appris mes premières recettes, c’est elle qui m’a transmis le goût de la cuisine et son sens de l’hospitalité», raconte Joan. Du bar de quartier, se mettant peu à peu à proposer de petits plats traditionnels aux ouvriers du voisinage, à l’univers scintillant de la haute cuisine, il y a en quelque sorte le même voyage vertigineux que l’ascension «De la terre à la lune». D’où le titre de l’exposition et le constat, par un Joan Roca aussi charismatique que modeste, que le succès est dû au fait «que nous n’avons jamais oublié d’où nous venions». Joan, Josep, Jordi.
L’aîné et le sage, le romantique, le facétieux. Le premier rêvait d’une carrière d’architecte, le second vivait pour le foot, le troisième était le rigolo de la bande. Ils deviendront respectivement cuisinier, sommelier, pâtissier, sans perdre pour autant leurs rêves ni encore moins leur sens de l’humour. Les deux aînés ouvrent El Celler de Can Roca en août 1986 après avoir fréquenté l’école hôtelière de Gérone; Jordi suit le même cursus et rejoint Joan en cuisine en 1999, avant de bifurquer avec le succès que l’on sait vers la pâtisserie. L’exposition évoque trente ans à travers autant de plats: «La difficulté a été de choisir.» Joan Roca invoque Paul Valéry, pour qui un poème n’est jamais fini. «De même, un plat évolue, on le repense. Nous avons choisi de présenter les déclinaisons de notre soupe de cerise et gambas, au fil des années.»
La mémoire est une des clés de l’inspiration. Le bonbon campari, mini sphère qui explose en bouche avec des notes d’agrumes, est une réminiscence du rituel familial des apéros du samedi soir; le blé vert s’inspire du casse-croûte traditionnel des vendangeurs fait de pain, d’huile, de sardines et de raisin, alors que le pudding de riz noir et oursins évoque un repas classique de pêcheurs, préparé avec du riz et les invendus du marché. Les madeleines des trois frères affleurent aussi à travers la réinterprétation des standards de la cuisine catalane : agneau et pain à la tomate, carpaccio de pied de porc.
Parmi les autres sources d’inspiration, Joan Roca évoque le sens de l’humour, «essentiel», et le paysage. Les chefs catalans ont une ferme biologique et travaillent avec un botaniste pour recenser et valoriser les espèces indigènes –«une source d’inspiration extraordinaire». Joan Roca revendique aussi l’influence des maîtres classiques et des livres: les ouvrages signés Brillat-Savarin, Blanc, Girardet, Guérard, Troisgros ou Chapel figurent dans une vitrine, en bonne place de l’exposition de Barcelone. «Le vin est un autre univers qui nous inspire à travers ses parfums, ses couleurs, ses notes d’épices, relève Joan Roca. Nous créons désormais, avec l’aide d’un œnologue, de nouveaux distillats à partir de plantes.» Le voyage en est un autre.
Chaque année, le trio part en tournée durant six semaines avec toute son équipe dans une région différente du globe. «Les récompenses et le prestige, c’est magnifique, mais ce n’est pas tout, on y va aussi pour apprendre et motiver nos collaborateurs, note Joan Roca.
C’est un rêve de cuisiner dans tous ces lieux différents. Je le vois comme la tournée d’une troupe de théâtre.» On découvre aussi dans l’exposition l’importance de la technologie et l’apport du trio grâce à plusieurs inventions: le Roner, pour une précision millimétrique des cuissons; le Rotaval, afin de capter les arômes volatiles ou le Rocook, pour une cuisson basse température ultra précise. Le chef entrepreneur a aussi évoqué, lors du récent forum parabere, son engagement social, éthique, environnemental. «C’est l’histoire d’une passion faite profession: nous avons réalisé nos aspirations, fait de notre vie un espace de créativité. Cela donne envie de partager. Notre premier critère pour engager nos collaborateurs, c’est leur amour de la cuisine, mais il faut aussi leur donner des responsabilités.»
Véronique Zbinden
Davantage d’informations:
Exposition «El Celler de Can Roca:
From the Earth to the Moon», Barcelone Palau Robert, jusqu’au 23 avril 2017
<link http: palaurobert.gencat.cat>