Dans le cadre de la Journée professionnelle organisée par la Société suisse des cuisiniers et consacrée à l’avenir de l’alimentation, la fondatrice et directrice de Toutmorrow livrera son analyse sur l’évolution des modes de consommation.
Au risque de décevoir les professionnels qui s’attendent peut-être à recevoir de sa part une réponse définitive à toutes les questions qu’ils se posent sur la manière dont l’alimentation évoluera ces 20 prochaines années, Josée Bélanger relativise d’avance la portée de son discours en se fendant d’une boutade: «S’il était possible de dire qui sera le client de demain, cela se saurait. Et si quelqu’un vous assure qu’il le sait, fuyez-le!» Il n’en demeure pas moins que la fondatrice et directrice de l’entreprise de marketing et design Toutmorrow est une oratrice de choix pour ouvrir les débats à l’occasion de la Journée professionnelle organisée le 11 septembre prochain au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) de Lausanne, elle qui observe depuis de nombreuses années l’évolution des modes de consommation.
Si toute prévision est vaine, quel est son credo? «La meilleure manière de procéder est d’esquisser sa réflexion à partir d’un certain nombre d’hypothèses. La première prend la forme d’un constat: nous sommes aujourd’hui face à l’émergence d’une société de recommandations. Les gens de ma génération avaient l’habitude de se tourner vers des prescripteurs pour identifier les tendances; les institutions ou les médias qui portaient l’information avaient à nos yeux de l’importance. Aujourd’hui, le rapport s’est inversé: ce sont les individus qui ont pris le pouvoir en faisant des recommandations à leurs amis, et en écoutant celles qu’ils leur font en retour», explique la Québécoise installée en Suisse depuis plus de 20 ans.
Dans un autre registre, Josée Bélanger constate l’essor de la technologie dans le secteur de l’alimentation, une tendance qui s’accentue depuis que les géants de la Silicon Valley s’y intéressent, et qui n’encourage pas les gens à cuisiner eux-mêmes. «Aux EtatsUnis, les jeunes dépensent aujourd’hui plus d’argent dans les restaurants que les baby-boomers. Et les plus pauvres achètent essentiellement des plats cuisinés. Conséquence: les goûts se perdent en même temps que le réflexe d’apprêter des produits frais.» C’est dans ce contexte que la spécialiste en marketing aime à citer l’exemple de McDonald’s, qu’elle ne considère pas seulement comme l’enseigne qui a popularisé la formule du fast-food, mais aussi celle qui a cassé certains codes séculaires. «Bien sûr, il y a la dimension culinaire (le sandwich érigé en icône) et la modernité (les cuisines visibles dès l’entrée dans le restaurant), mais il y a surtout la création de nouvelles normes. Celle par exemple du repas tout en un, à savoir l’entrée, le plat et le dessert servis en même temps, selon un rituel qui est devenu la norme pour beaucoup de gens.»
Quid de l’émergence des émissions culinaires, dont le succès pourrait être considéré comme le retour victorieux d’une certaine approche de la gastronomie? Josée Bélanger salue leur impact positif, mais relève une forme d’ambivalence: «Certes, on y valorise le goût, mais la démarche s’accompagne d’un esprit de compétition qui amène les participants – et par extension tous les téléspectateurs – à vouloir être le meilleur en tout et à chaque fois. Avant, on apprenait aux enfants les rudiments de la cuisine; aujourd’hui, on veut qu’ils deviennent des top chefs.»
Il y a toutefois de l’espoir, nuance la directrice de Toutmorrow. Selon elle, les 10 ou 20 prochaines années verront le retour de certains fondamentaux. «Il s’agira notamment de retrouver le plaisir de cuisiner et de partager un repas en famille. Un plaisir que beaucoup connaissent déjà aujourd’hui, mais qui va s’étendre à tous ceux qui l’ont délaissé au profit des plats cuisinés et d’une forme de standardisation. A ce propos, un chiffre montre à quel point nous achetons tous les mêmes produits: si les rayons de nos supermarchés regorgent de variétés de yoghourts, 80% des ventes sont réalisées avec les cinq arômes de base (nature, vanille, chocolat, fraises et mocca).»
Au cours de sa conférence, Josée Bélanger aura également l’occasion de présenter brièvement son parcours, elle qui est la neuvième d’une famille de 10 enfants, au sein de laquelle l’éducation s’est faite par la nourriture à la faveur de repas conviviaux où tout le monde se retrouvait pour échanger – «des souvenirs formidables», conclut-elle.
(Patrick Claudet)