Voici l’histoire peu banale d’un quadra parisien qui exploite depuis deux ans un chai de vinification au cœur de Paris. S’il est (bien) né dans la capitale française, son idée, il l’a eue à Lausanne, où il habite.
On peut «penduler» en TGV entre Lausanne et Paris. Comme Mathieu Bosser. En 1978, quand il est né, son père, négociant en vins, venait de reprendre la représentation dans la capitale française de la maison du Beaujolais Dubœuf, qu’il gardera jusqu’en 2003. Son fils travaille en Suisse depuis 2005, dans le négoce du sucre. Puis il monte une société d’importation de vins, revendue depuis qu’il a eu l’idée de faire du vin… à Paris. Et si Mathieu Bosser demeure à Lausanne, c’est parce qu’il s’y plaît, avec sa femme, cadre chez Payot librairie, et ses deux enfants de cinq et sept ans. «J’avais le rêve de produire du vin. Mais aussi, de retourner à Paris si je retournais en France. L’équation était simple: il suffisait de faire du vin à Paris! Au fond, on peut faire du vin partout en France!»
L’idée est dans l’air du temps. Les «urban wineries» sont nées sur la côte Ouest des Etats-Unis au début de ce 2e millénaire. On en compte plusieurs à San Francisco, mais aussi à Seattle, Portland, Vancouver (sur la même côte, au Canada), à Dallas, à New York (Brooklin et Manhattan), à Hong Kong, à Londres (Londoncru à Fulham), à Marseille (Microcosmos) et dans la banlieue parisienne, à Montreuil (La winerie).
Au contraire du vignoble de Montmartre, fort connu, et modeste survivant des quelque 40 000 hectares de vignes en Ile-de-France avant le chemin de fer et le phylloxéra, les raisins ne viennent pas de Paris. Mais si le Londonien Cliff Robertson fixe à 36 heures maximum le délai entre la cueillette (manuelle) des raisins et l’acheminement (en camion réfrigéré) jusqu’aux cuves de vinification citadines en inox, les «Vignerons parisiens» n’ont besoin que d’une douzaine d’heures pour amener la vendange en cagettes des Côtes-du-Rhône méridionales jusqu’à la capitale. Ils se sont installés il y a deux ans dans un immeuble haussmanien du 3e arrondissement, à la rue de Turbigo, à l’orée du quartier branché du Marais.
«De la taille des ceps à la mise en bouteille, on fait tout !», explique Mathieu Bosser. «J’ai dû m’entourer, car je ne sais pas faire du vin…» Sur place, dans le Sud, deux associés s’occupent des vignes. Et ils sont bien connus en France, du côté de Châteauneuf-du-Pape, tant Frédéric Duseigneur, consultant en biodynamie, qu’Emmanuel Gagnepain, œnologue-conseil. Ensemble, ils louent en fermage à des vignerons locaux une dizaine de parcelles, suivies toute l’année. Tout est cultivé en bio (et 40% en biodynamie) et le chai est certifié Ecocert. «On définit le profil aromatique de nos vins et on remonte à la source, au plus près de ce que nous voulons», par exemple à Visan, «en altitude».
En automne 2016, les premiers vins sont sortis du pressoir vertical, puis des cuves inox et des barriques de la rue de Turbigo. Il a fallu près de deux ans pour obtenir l’autorisation de vinifier dans la capitale. Les vins, parce qu’ils ne sont pas élaborés dans la région de production des raisins, perdent le droit à l’appellation d’origine contrôlée (AOC), au profit de «Vin de France» qui, soit dit en passant, fait un tel tabac à l’export qu’il manque aujourd’hui du vin sous ce titre générique pour satisfaire le marché!
Les cuves de la capitale permettent de vinifier 30 000 litres, et cette vitesse de croisière devrait être atteinte avec le millésime 2017. Les deux principales cuvées sont tirées à 10 000 flacons, un blanc, «Lutèce», assemblage de viognier, de marsanne et de roussanne, et un rouge, «Turbigo», à base de cinsault, tous deux sans élevage en fûts. Un autre blanc, «En 508», est issu de grenache blanc fermenté sous bois, et deux rouges, le grenache «Les Templiers», et la syrah «Haussmann», sont également élevés en demi-muids. Ni fouloir, ni pompe, «on intervient très peu en cave», assure Mathieu Bosser. L’ajout de SO2 ne se fait qu’à la mise en bouteille. Et les 12 heures de transport en camion frigorifique constituent une «macération préfermentaire à froid»…
A Paris, le chai ne dispose pas de bar à vins, mais d’une boutique. On peut le visiter, à 11 h., du mardi au vendredi, avec une dégustation des cinq vins (25 euros). Une salle permet de dispenser des cours d’œnologie ou de dégustation, comme «cépage et terroir» à 59 euros. Et il est possible de le privatiser pour des événements. «A Paris, les gens boivent du vin mais ne le connaissent pas trop. On leur a dit «faites deux stations de métro et on vous montre comment on élabore le vin !». Pour le vendre, l’argument du «fait à Paris» n’est pas suffisant. On est allé voir les restaurants avec sommelier, pour les convaincre par la dégustation. On arrivait certes avec une histoire différente, mais il a fallu convaincre les sceptiques!»
Les deux vins que Mathieu Bosser m’a fait déguster sont fort bien faits: le «Lutèce» blanc 2016 offre un joli nez de pêche et d’abricot, un volume assez riche et gras, mais une belle fraîcheur, sur des notes d’amande. Et le grenache noir «Les Templiers» 2015 présentait des arômes typés sudistes, mûrs, compotés, épicés, de poivre et de cannelle, et une bonne vivacité en bouche. Aussi décalée soit-elle, l’aventure est prometteuse, c’est sûr!
(Pierre Thomas)
Les vins des Vignerons parisiens sont importés, à Genève, par la société Epicuriels (www.epicuriels.com).