Petite arvine, durize et humagne rouge représentent des expressions du terroir et des vinifications diversifiées. Les vignerons du collectif Vino Verritas expliquent leurs visions.
Comment travailler une petite arvine, demande-t-on aux vignerons valaisans du collectif Vino Verritas. Tendons l’oreille à ceux qui promeuvent une viticulture et des vins respectant le vivant. Lors d’une récente dégustation à Fully, plusieurs approches antagonistes entrent en débat en valorisant ce cépage singulier uniquement cultivé dans la Vallée d’Aoste et en Valais. Des visions qui peuvent permettre à la petite arvine de s’imposer sur le marché suisse comme à l’étranger, par son étonnante salinité en fin de bouche et la qualité globale de sa production.
Guillaume Bodin, néovigneron parfois expérimental, documentariste spécialiste de la biodynamie, vient de sortir en 2023 son premier millésime de petite arvine issu des vignes qu’il loue à son collègue Philippe Mettaz. Un vin droit, direct, à l’approche finalement assez classique. Il la justifie ainsi: «Je bloque la fermentation malolactique, ce qui permet de préserver une aromatique ample comme en vigne et de préserver une fraîcheur immédiate.» Pauline Dorin, responsable viticole au domaine Philippe Mettaz, bloque aussi la fermentation malolactique. Elle travaille les lies pour une petite arvine Les Claives 2023, élevée uniquement en cuve, qui donne des parfums de fruits exotiques et une élégante sucrosité en fin de bouche. Pauline Dorin trouve qu’en règle générale les élevages en fûts de l’arvine «matraquent, alourdissent le vin, alors qu’avec la marsanne ils donnent un plus grand équilibre». Originaire de Bourgogne, habituée aux élevages boisés, elle parle de sa formation à Mâcon davantage orientée sur le bio que celle dispensée à Beaune. Elle se réjouit de travailler dans une petite cave valaisanne qui travaille essentiellement en cuves en inox: «On retrouve plus facilement le lien avec le cépage.» Chez les vins de l’A d’Alex Stauffer, à Ollon, on découvre une arvine élevée en cuve sur des sols calcaires. Ce vigneron souvent intuitif produit un vin vif aux notes d’agrumes au beau final salin. Un ensemble d’approches classiques de l’Arvine donnant des nectars de tradition raffinés et rassurants.
D’autres vignerons choisissent des approches déconcertantes mais intéressantes pour la gastronomie. Peu de producteurs travaillent la dimension ouvertement acide de l’arvine, ce que revendique Ilona Thétaz à O Faya Farm, à Saxon, avec un élevage en partie en barriques d’acacia et en raisins entiers: «Sur du granit, je recherche la richesse, la chaleur, la buvabilité.» Elle se situe loin de la discrétion des autres producteurs en proposant quelque chose de plus pop et exotique. Steeve Beetschen travaille l’arvine en Tendre Nature et n’hésite pas à commercialiser aujourd’hui son vin mousseux de pays romand en millésime 2015, qu’il définit lui-même comme se situant loin des canons de la mode. Il a laissé ce millésime solaire sept ans sur lattes avec une prise de mousse partielle: «Le voilà plutôt crémeux que mousseux, rond et vif, doté d’un fruité profond et pur.»
Hors catégorie, comme un trait d’union entre tradition et modernité, seule la petite arvine Tsoume 2021 de Yann Comby, à Chamoson, propose cet amusant alliage entre une bouche de mangue et une amertume finale.
Autre cépage autochtone valaisan, l’humagne rouge qu’on apprécie quand elle penche vers une approche fruitée, comme avec l’Enfer de la Roche 2022, sur les coteaux de Sierre du domaine Histoire d’Enfer. Les arômes profonds d’églantine et de cassis séduisent. Le millésime 2015 restait déjà en mémoire par sa complexité, alors que certaines humagnes rouges semblent fermées et sévères très longtemps. Médecin et vigneron, au verbe racé et parfois provocateur, Patrick Regamey estime que sur ce cépage la maturité des raisins doit devenir importante pour éviter les notes végétales. Il privilégie aussi la vinification en raisins entiers, pour ne pas ignorer l’apport des rafles.
En toute discrétion, Olivier Pittet, à Fully, chérit les curiosités du vignoble. Après s’être battu pour le retour en force de la grosse arvine, il récolte toujours le cépage méconnu la durize en dernier, «car il produit peu de sucres». Sur le millésime 2022, cela donne un vin sobre aux tanins souples et aux arômes de griottes et de raisinets. Le vigneron se dit amoureux de ce cépage minéral sans réduction et hors séduction. Selon le spécialiste des cépages José Vouillamoz, l’étymologie de la durize dériverait du latin duracena, littéralement «baie dure», en référence à l’épaisseur de la peau des baies.
(Alexandre Caldara)