Elle s’est formée à Copenhague, a cuisiné pour Neil Young, voyagé beaucoup et hésité longuement entre les arts et la cuisine, sans trancher. Rencontre.
Les médias alémaniques l’ont consacrée reine du pop-up. Chacun des événements de Margaretha Jüngling est très couru, voire complet grâce à un étonnant buzz d’initiés sur les réseaux sociaux et bien au-delà. Deux hivers de suite, il y eut Stazione Paradiso dans son décor de wagon abandonné, avec sa part de délires et d’impro forcée, ou encore le projet Zampano dans une friche industrielle zurichoise, réunissant l’automne dernier une bande de parfaits inconnus, au nombre desquels Pierre Jancou. D’autres projets encore, bien que l’épidémie ait eu raison de certains, sans que la chose perde jamais de sa spontanéité, de sa créativité déjantée pour verser dans le système, pire, la routine.
La routine? Aucun risque avec cette fille-là, qui fut aussi, entre autres, la cheffe attitrée de Neil Young durant sa tournée européenne, en 2016. Les hasards d’une rencontre alors qu’elle cuisinait pour les festivaliers de Roskilde, au Danemark, qui l’entraînent séance tenante dans le bus des musiciens.
Qu’on se le dise, le dernier pop-up de Margaretha se tient jusqu’à fin août dans l’ancienne buvette d’un cinéma de quartier, prolongée par une terrasse urbaine, et ne fait pas exception. Baptisé merwut@wermut pour jouer sur les anagrammes de la boisson fétiche du lieu et des colères naissantes, c’est assurément un des événements de l’été zurichois.
La seule règle de ces pop-up pourrait bien être de ne pas en avoir. La carte se décide au jour le jour et ce sont en principe les cuisiniers qui vont sélectionner et cueillir eux-mêmes chez leur maraîcher et paysan bios du coin l’essentiel de leurs ingrédients. Une douzaine de plats au fort accent végétal, trois-quatre desserts, une carte de vins nature extras pour de beaux contrastes de textures, de couleurs, quelques associations vraiment décoiffantes. Passionnée par le levain et les mécanismes de la fermentation, Margaretha aime aussi fabriquer ses propres pains et sa foccacia, magnifiques.
Née dans un micro-hameau grison de 90 habitants, près d’Arosa, avec «zéro commerce mais un potager géant, dont on cuisinait les légumes et les canards», cette fille d’un architecte et d’une éducatrice entame des études de scénographie à Zurich et son parcours oscille dès lors entre différentes formes d’art et l’expression culinaire – avec de fréquents allers- retours et changements de voie. «L’école n’a jamais été stimulante à mon goût, pas plus que le début de mes études, que j’interromps pour commencer un apprentissage de cuisine», à Bâle auprès de Dominic Lambelet, au Rollerhof.
Curieuse et avide d’apprendre, Margaretha est une impatiente née, elle intègre donc une brigade, avant de repartir pour un stage à Copenhague. Le Relae de Christian Puglisi, à Copenhague, qui vient d’obtenir sa première étoile, sera sa première expérience véritablement intense. «J’étais très curieuse, très passionnée, mais avec le recul, je me dis que je ne referais plus quinze ou seize heures par jour comme on en avait l’habitude.»
Complètement happée par l’aventure, avec sa curiosité insatiable et une sensibilité à fleur de peau, Margaretha y restera trois ans, à travailler comme une forcenée et dévorer des livres de cuisine pendant ses rares loisirs. Elle apprend vite: au bout de six mois, c’est à son tour de former les nouveaux-venus. Et le creuset qu’est cette cuisine nordique et métissée sera pour la jeune cheffe une inspiration déterminante.
«En Suisse, les apprentissages et les cuisines sont des lieux où l’on remet peu en question les acquis et le répertoire classique; les structures restent traditionnelles, pour ne pas dire patriarcales», estime Margaretha qui aime au contraire être poussée dans ses retranchements, mais aussi questionner, bousculer les acquis. Elle retiendra aussi de la philosophie de Puglisi et des Nordiques, la sensibilité environnementale et le refus du gaspillage, un perfectionnisme poussé jusqu’au moindre détail et au quotidien, le choix des produits en direct à la source.
Après Copenhague, Margaretha reprend donc la route, voyageant notamment en Californie, au Mexique, en Thaïlande et au Japon en travaillant dans des cuisines très diverses. Autant d’expériences qu’elle intègre à son cursus singulier: «Les traditions culinaires japonaises et les techniques thaïes m’ont beaucoup impressionnée. Mais je suis aussi fascinée par la richesse des produits mexicains et par leur histoire.»
Sa cuisine aujourd’hui? Très inspirée par les cuisines nordiques, les produits locaux et bios nordic style, très végétale aussi. Très peu d’épices, une grande pureté, le retour au vrai goût des choses. «Et j’aime que ça change tous les jours.» Avoir un lieu fixe à elle n’est pas à l’ordre du jour, certainement pas un objectif. Margaretha aime offrir, à travers sa cuisine une atmosphère et une inspiration. «Quand ça passe auprès des clients, j’ai réussi.»
Les guides? Elle s’en contrefiche, se concentrant plutôt sur sa quête de «la perfection dans la simplicité», qu’il s’agisse d’une sauce tomate ou d’un autre plat plus élaboré. La cuisine peut aussi être porteuse d’un message, avoir une connotation politique ou engagée, refléter la sensibilité environnementale de la cuisinière, qui consomme très peu de viande et de poisson. A la rentrée, Margaretha reprend ses études d’art à la Hochschule der Künste zurichoise. Avec l’envie, toujours, de décloisonner les arts et les univers: «Je suis inscrite au programme d’études transversal Food & Memory.» Et avec ça, pour financer la suite de ses études, on imagine bien sûr quelques très jolis pop-up.
(Véronique Zbinden)
Davantage d’informations:
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