Du 16 au 20 novembre, les Food Culture Days invitaient le public à réfléchir sur la société. Détour par la cuisine de l’Alimentarium.
Dix heures trente, samedi matin, à l’Alimentarium à Vevey. Un sachet de carottes biologiques et un potimarron très orange trônent au milieu d’une table bien trop grande pour eux seuls. Autour, quelques personnes ayant bravé la grisaille se demandent ce qu’elles vont bien pouvoir en faire. Le thème de cette rencontre? La cuisine des restes… Un concept encore bien vague pour les participants qui, tentés par le lunch-concept de Nowhere Kitchen, ont parcouru les étagères de leur réfrigérateur à la recherche d’aliments à apporter.
C’est il y a cinq ans que tout a commencé, alors que Pepe Dayaw était à Madrid. Il raconte: «C’était la crise financière. J’allais dans les maisons et préparais à manger avec leurs restes. J’ai ainsi entamé une vie créative dans la cuisine.» Le bouche-à-oreille a ensuite fait le reste. «Pour moi, c’était juste un projet. Après quelque temps j’ai voulu arrêter, mais j’étais devenu connu et les gens continuaient à m’appeler…» Il a ainsi cuisiné dans des lieux peu communs. Des musées, des théâtres, parfois pour plusieurs centaines de personnes même. Son unique moteur: concocter des plats avec les éléments à disposition. «Cela inclut les individus présents, les objets qui font partie du rituel ainsi que les sentiments et désirs qui connectent chacun à l’espace», selon la description de l’événement.
Pour y parvenir, il est essentiel de ne jamais penser à ce dont on ne dispose pas. Pepe Dayaw propose d’apporter un autre regard à l’acte gustatif. En se laissant porter et inspirer, il réalise des mélanges, découvrant de nouvelles combinaisons de saveurs. «C’est une improvisation totale», explique celui qui est aussi danseur. «On ne sait pas ce qui va se passer, il ne faut d’ailleurs pas s’en soucier d’avance. Une simple intention suffit.»
À peine quelques mots lâchés sur le concept qu’il s’attaque aux plastiques qui emballent les carottes. «Le premier pas est de revenir à l’essence. Il faut enlever les paquets, ce n’est pas inspirant sinon.» Pour Pepe Dayaw, philippin d’origine, la notion de reste englobe également les souvenirs. Dans le partage que comporte la préparation d’un repas, il y a l’échange d’idées, mais aussi d’histoires personnelles. «Le premier endroit que j’ai visité en Suisse était Vevey, c’est aussi ici que j’ai vu pour la première fois la neige», se plait-il à se remémorer.
Une courge butternut, des oignons, davantage de carottes, un demi-céleri et de l’aneth sont arrivés avec les nouveaux participants. Des fruits également. Les mains s’activent à peler et trancher. Certains ont décidé de faire des juliennes, d’autres ont privilégié les rondelles. Et l’inspiration vient des uns et autres. Les idées surgissent. Et pendant qu’ils cuisinent, çà et là des souvenirs sont évoqués. Cette jeune fille d’une dizaine d’années qui a pris la responsabilité de la cuisson d’une poêlée de carottes, pommes de terre, courges, et raisins, agrémentée de quelques herbes, aimait si peu les carottes durant ses premières années. Aujourd’hui, elle touille avec fierté ce plat réalisé avec conscience. Elle le dégustera différemment.
Une alléchante odeur flotte dans la pièce. Des chips de légumes sortent de la friture. Difficile d’y résister. Le partage va bon train. Au fur et à mesure, les marmitons du jour dégustent leurs créations. Une véritable cuisine collaborative est née. Et en improvisant, tous se laissent surprendre. Sans trop y prêter d’attention, les participants commencent à voir leur regard changer. Difficile de rester indifférent à la façon poétique et philosophique dont Pepe aborde la nourriture. Il suscite alors une réflexion sur des sujets plus généraux. «De nombreux thèmes sociaux sont difficiles à aborder, note Margaux Schwab, organisatrice de l’événement. Mais la nourriture est un connecteur. Elle représente notre monde dans son ensemble».
(Sandra Hildebrandt)