A la suite de dissensions avec ses associés, le chef renonce à l’enseigne née à Genève voici un mois. Reste l’excellent Svante Forstorp.
Il a souvent précédé les tendances, le succès l’a porté et accompagné, rarement sur la durée. On a ainsi pu lui reprocher d’être un visionnaire inconstant, un créatif vite lassé à l’heure de la concrétisation de ses projets. Aujourd’hui, on reste quand même sans voix à la nouvelle du départ abrupt de Pierre Jancou, un mois à peine après l’ouverture de son dernier-né Natürlich, joyeuse enseigne bistronomique vouée aux produits locaux et à la créativité du chef Svante Forstorp. Le chef franco-suisse a imaginé le concept, mis en place son «équipe de rêve» dans le décor revisité de l’ancien Tablar, rue de la Coulouvrenière 38, à Genève, récolté les louanges de la critique et des convives. Avant de disparaître: on apprend ces jours que Pierre Jancou a quitté le bateau sans crier gare – lettre de démission et compte Instagram fermé – en plein week-end et en plein succès, alors que la fréquentation est excellente. On contacte donc les protagonistes pour tenter de comprendre.
Le principal intéressé invoque des motifs personnels, une mésentente, un sentiment d’incompréhension: «Les premières dissensions sont apparues très tôt, des portes se sont fermées; j’ai réalisé qu’on ne me faisait pas confiance. En fait, on ne m’a pas laissé la latitude de diriger la salle et la cuisine selon ma philosophie, donner une certaine tonalité à la pâtisserie…» Les anciens associés du chef reviennent pour leur part sur la genèse du projet. «Natürlich a mis plusieurs mois avant de voir le jour, la décision de fermer Tablar, l’enseigne de Nicolas Darnauguilhem ayant été prise en janvier. L’ouverture du nouveau lieu aurait dû se faire au moment du confinement, Pierre Jancou ayant auparavant réfléchi à un autre projet dans une station valaisanne.» L’ancien associé de Pierre Jancou souligne encore que ce dernier a l’habitude de «travailler en solo, sans partager le pouvoir et n’admet pas la critique».
«Mon concept a été bafoué et l’équipe s’est retrouvée divisée», estime au contraire l’artisan du projet. «Natürlich est mon neuvième resto et c’est la première fois qu’un tel problème se présente. Plutôt que de m’engager dans une vaine bataille juridique, j’ai choisi de partir.»
A relever que le contrat de partenariat a été paraphé par trois associés, les deux frères qui ont soutenu Nicolas Darnauguilhem dès 2018 et Pierre Jancou, lequel n’a pas contribué à la mise de fonds comme prévu initialement.
«Vu la tournure des événements, j’ai consulté un avocat qui m’a confirmé qu’au vu de notre contrat, je n’avais aucun pouvoir. On pouvait m’exclure de la société et du concept que j’avais créé en toute légalité. J’ai d’autres projets et l’envie de regarder devant pour imaginer d’autres lieux, en débutant peut-être par des pop-up. Ce sera en Suisse, c’est sûr, je suis heureux d’avoir retrouvé mon pays de cœur, sans doute ailleurs, sans associés, mais avec d’autres personnes».
L’essentiel, entre-temps? La table est très fréquentée, midi et soir, les commentaires sont élogieux, Natürlich semble avoir trouvé ses fidèles, autour d’un concept singulier qui manquait à Genève. Les anciens partenaires de Pierre Jancou se disent «attristés de la tournure des événements mais heureux d’avoir la possibilité de poursuivre une belle histoire avec (presque) la même équipe».
Reste donc la cuisine pure et lumineuse de Svante autour des meilleurs produits locaux, la carte évolutive au jour le jour, la cave, notamment reprise du Tablar dans ce qui devrait rester une des adresses les plus intéressantes de la ville.
(Véronique Zbinden)
