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Riccardo Camanini, le chef poète

Deux frères étonnants sont à la tête de Lido 84, joyau des rives du lac de Garde. Une des révélations gastronomiques de la décennie.

  • Lido 84 participera au festival Gelinaz au printemps 2024 à l’occasion d’une édition sur le thème de la musique. (dr)
  • Rigatoni cacio e pepe en vessie: l’un des plats emblématiques du chef italien Riccardo Camanini. Giovanni Panarotto

«Spaghettoni, burro, lievito di birra». C’est un plat créé autour de la nécessité de finitions rapides, en quelques minutes. Ce classique du nord de l’Italie revisité a connu de précédentes déclinaisons – camomille, anchois ou bourgeons de cédrat – et naît de la recherche d’un nouvel ingrédient de saison, au terme d’essais multiples. La pâte est cuite, puis émulsionnée dans le beurre – un beurre de montagne rare, hors normes, crémeux, aux parfums de fleurs et de vanille. A ces saveurs s’allie le croquant de la levure: séchée au four, celle-ci perd toute acidité et amertume au profit d’un côté noisette fermentée, d’une texture de meringue. Un hasard. Une histoire de sérendipité. Le plat a notamment bluffé Alain Ducasse, qui lui a rendu hommage au Plaza Athénée, avant d’être exposé au MoMa.

C’est aussi le premier plat signature marquant de Riccardo Camanini, chef de Lido 84 à peu près inconnu au-delà des frontières de la Lombardie voici une dizaine d’années encore, et qui a intégré le club très fermé des dix meilleurs chefs du monde – il est au septième rang du classement des World’s 50 Best Restaurants. Le parcours de Riccardo Camanini, 50 ans, commence pourtant humblement. Issu d’un milieu modeste et ouvrier, dans la région touristique des grands lacs italiens, Riccardo fréquente l’Ecole hôtelière proche de Brescia, dont il garde un souvenir plus que mitigé. Au milieu des années 1980, l’Italie vit «une invasion barbare sans précédent, celle de l’agroindustrie et de la grande distribution», raconte-t-il, le regard vert intense plongé dans le bleu saphir du Lac de Garde – une vue paradisiaque qui est désormais partie intégrante de sa vie et de son travail. Humainement et sur le plan pédagogique, un désastre: on ouvrait des boîtes; on n’apprenait rien en cours et on passait tous nos weekends à travailler dans les hôtels de la région, explique en substance le chef entrepreneur. «Ma chance est d’avoir une famille qui cuisinait formidablement: le bien manger est inscrit en nous, enraciné et je me souviens d’avoir goûté, enfant, les produits les plus incroyables.»

Deux frères liés par une forte amitié

Bref, à la différence de tant de ses pairs, la cuisine n’est pour Riccardo ni une vocation, ni un coup de foudre. Plutôt une compréhension lente de ses mécanismes et des techniques, un apprentissage de la frustration et de la patience.

Cuisine italienne vs française

Là-dessus, le jeune homme entre chez Gualtiero Marchesi, véritable dieu de la Nouvelle Cuisine italienne et créateur de plats iconiques – tel le risotto all’oro. S’il passe les six premiers mois à nettoyer des oursins, il entrevoit aussi la possibilité de transposer une idée, d’exprimer une part de ce qu’il a en lui, déjà. A ces trois années tendues vers un objectif lointain succède une expérience française. Riccardo est engagé dans un des établissements d’Alain Ducasse, la Grande Cascade à Paris, dans la brigade de Jean-Louis Nomicos.

«L’époque ne regardait que vers la France. J’ai voulu comprendre la complexité de cette cuisine, sa construction par strates. Quitte à recommencer à zéro, en bas de l’échelle», dit-il. La cuisine italienne consiste en peu de touches et d’ingrédients. «Une tomate, une bonne huile et une bonne mozza et tu as de quoi faire le bonheur de ta famille. Alors que la cuisine française, c’est l’approche d’un parfumeur, une structure extrêmement codifiée.»

Une transformation totale

C’est ici que surgit l’autre homme clé de l’histoire: Giancarlo Camanini, le frère aîné au parcours radicalement différent. Les deux frères sont liés par une forte amitié, habitués à recevoir ensemble.  L’aîné est un littéraire et un hôte hors pair, devenu responsable de l’export d’une grande société, là où le cadet semble en comparaison presque taiseux, heureux de s’isoler dans son labo à tenter 36 expériences. Le duo rêve depuis longtemps de créer quelque chose ensemble: la quarantaine venue, on leur propose de reprendre Lido 84, qui est alors passablement délabré, mal entretenu, mal noté dans les guides.

Les deux complices vont tout revoir dès lors, rhabillant le décor de tons bleu pétrole et de sphères lunaires, en écho aux baies voûtées ouvertes sur les flots. Nous sommes en 2014 et c’est enfin l’heure pour Riccardo de s’adonner à sa passion. A sa curiosité de scientifique, de chercheur un peu allumé. Ses créations se succèdent alors pour revisiter la grande tradition italienne.

Le succès est immédiat ou presque. Après la première étoile Michelin, l’entrée au classement des 50 Best, à l’étonnement des deux frères, sa progression bondissante jusqu’à la septième place en 2023. «Une vraie surprise», qui ne l’émeut qu’à demi. «Je vois surtout ce qui est perfectible et j’attends le verdict des autres pour être content. Ce sont les goûts qui m’émeuvent: découvrir une saveur nouvelle, deux nuances qui s’accordent.»

Un art, la cuisine ? «Cela ne m’empêche pas de dormir», sourit-il en citant Homère, pour qui la cuisine n’est pas un art, étant donné qu’elle n’est pas le fait des dieux». Un perfectionniste en quête de nouveaux défis pour y opposer sa vision esthétique et poétique, dont on comprend bien qu’il soit aussi un coureur de fond, un semi-marathonien qui s’adonne à son sport dans les extrêmes, du désert d’Atacama au grand Nord canadien.

(Véronique Zbinden)


Biologiques, les produits choisis par Riccardo Camanini sont issus de 140 fournisseurs de haut vol et racontent une histoire.


Davantage d’informations:

ristorantelido84.com