Les bars à nouilles débarquent en Suisse, un trend planétaire en passe de faire de l’ombre à la vogue des makis et autres nigiris.
Encore des nouilles, dirait Desproges. Oui, mais des nouilles nippones, des tonnes, et des bonnes. C’est la «it soupe» du moment, à en croire le magazine Elle. Le Japon compterait quelque 200 000 enseignes de ramen ya et même un musée dédié, à Tokyo. Ailleurs, aux Etats-Unis, et dans plusieurs métropoles européennes, les chaînes Momofuku et Wagamama se sont mises ces dernières années à décliner le concept. Avec un succès fou. L’idée?
Pour ceux qui l’ignoreraient encore, les ramen – littéralement «nouilles étirées» – sont des pâtes d’origine chinoise à base de farine de blé, d’œufs et d’eau. Introduites au Japon dès les années 50, elles ont dès lors été apprêtées à la sauce nippone. Il était donc temps que les Suisses se mettent au régime nouilles.
«On hésitait entre rentrer au Japon
et ouvrir ici notre propre restaurant.»
C’est chose faite avec la création du Yukiguni à Genève et du Food Truck lausannois Onigiri Ramen, après quelques précédents à Zurich et à Berne. Partie étudier le japonais dans l’archipel, Sandra s’étonnait à chacun de ses retours en Suisse de ne pas y trouver de bars à ramen: comment une tradition aussi populaire là-bas – en passe de conquérir la planète – demeurait-elle introuvable à Genève? A la différence des enseignes à sushis, qui poussaient entre-temps à chaque coin de rue. Son mari Yukei Miura, cuisinier venu de Hokkaido, l’île du nord au climat réputé frissonnant l’hiver, travaille alors dans un restaurant de la place: «On hésitait entre rentrer au Japon et ouvrir ici notre propre restaurant. On s’est lancés en créant le Yukiguni, littéralement le pays des neiges.»
Yukei Miura y décline désormais les ramen de multiples manières: chaudes, froides, bouillon à part ou dans un même bol, escortées de 36 garnitures, porc, poulet, œuf, crevettes, oignon nouveau, herbes fraîches, légumes, soja, etc. Le secret du plat, selon Sandra, tient au bouillon: «Le bouillon, c’est l’âme des ramen; traditionnellement corsé et plutôt gras, à base de porc, haché ou rôti, voire de poulet, mijoté longuement avec os, carcasses, oignon, ail et gingembre.
On peut aussi réaliser un dashi très léger à base de poisson. Selon la région, la base varie: 100% porc et très goûteux à Kyushu, base de soja à Tokyo, sauce miso ou encore gyokai (fruits de mer). A cela s’ajoute à peu près tout et son contraire, selon son goût: chou chinois, pousses de bambou, calamars, œufs marinés au saké et au mirin, poireau, concombre, chashu (poitrine de porc roulée, mijotée en cocotte avec ail, gingembre, soja, mirin, sucre, saké…).
On l’aura compris, la nouille nippone est aussi versatile que polymorphe. De quoi détrôner l’autre star nippone, alias le sushi? Petite pesée des forces en présence… Esthétiquement parlant, le sushi a un net avantage; cela dit, pas facile d’en réaliser soi-même. Il est vivement conseillé de participer à un atelier au moins pour avoir l’impression de maîtriser vaguement: a) la découpe des poissons, b) la cuisson du riz vinaigré et son refroidissement – qui implique obligatoirement de se brûler les doigts, c) l’art de poser le nori du bon côté sur sa natte, puis de rouler et découper le tout. Les premiers specimens ressemblent généralement aux truffes de Noël offertes par votre neveu âgé de six ans. Tout le contraire du ramen qui est simplissime: même les plus nouilles réussissent un bon bouillon.
En termes de santé, le sushi aurait plutôt bonne réputation, dites-vous? C’est méconnaître les risques innombrables liés à la consommation de poissons gras tel le thon: concentration de métaux lourds et autres polluants, présence de parasites ravageurs. Et on ne vous dit rien de l’arnaque consistant à vendre le riz au prix du saumon…
Tandis que nos ramens se contentent de peu: une carcasse de poulet, un pied de cochon, une couenne de lard, un bouquet garni et les voilà qui frémissent déjà. De plus, 100% «customisables», portées par le souffle de la nouveauté, elles ne nécessitent pas de piller des espèces menacées, ni d’importer à grand frais des denrées exotiques. Cela reste de la nouille, saperlipopette. Car oui, le sushi est une plaie pour l’environnement: imaginez le bilan carbone que représente l’importation de toutes ces espèces, ajouté au saccage des océans.
Et ne venez pas nous parler de la poésie du nigiri et du maki, distillée à la tonne par des géants nommés Planet Sushi ou Sushi Shop. Le meilleur pour la fin? Le côté furieusement régressif des ramen, en gros le seul plat pour lequel il est admis d’aspirer bruyamment, en reniant tous nos vieux principes éducatifs. Cette technique s’appelle le «tsuru-tsuru»; elle consiste à refroidir les nouilles brûlantes et en exalter le goût, tout en signifiant à votre hôte que vous appréciez sa cuisine. Après tout ça, si vous n’avez pas choisi votre camp!
Véronique Zbinden
Davantage d’informations:
<link http: www.yukiguni.ch>www.yukiguni.ch