Confidentiels bien que la distillerie écossaise du Speyside les développe depuis plus de 10 ans, les accords entre whisky et mets titillent l’imagination des chefs. A Genève, l’un d’eux a relevé le défi le temps d’un menu.
Il s’appelle John Williams et il est le chef exécutif du légendaire hôtel The Ritz à Londres. Parmi les nombreux accomplissements qui ont jalonné le parcours de ce membre de l’Ordre de l’Empire britannique (MBE) figure sa collaboration avec The Glenlivet, pour qui il a été le premier chef à imaginer, il y a plus de 10 ans déjà, des accords entre whisky et mets. Depuis ce premier coup d’essai, la distillerie écossaise a développé le concept en faisant appel à des grands noms de la gastronomie, partout dans le monde, avec à la clé des mariages aussi surprenants que réussis, notamment ceux imaginés autour des sushis et sashimis.
Bien implantée en Suisse, où elle collabore dans tout le pays avec beaucoup d’établissements de l’hôtellerie-restauration, la maison a approché l’une des tables emblématiques de la scène culinaire genevoise en vue de la création d’un menu articulé autour de la gamme The Glenlivet. L’heureux élu? Le restaurant Rasoi by Vineet, sis au Mandarin Oriental, dont le chef Prabu Kalyanasundaram a eu pour mission de chercher l’accord parfait. Une grande première pour ce natif de Pondichéry installé à Genève depuis une dizaine d’années, davantage habitué à combiner les plats de sa carte avec les crus genevois ou suisses qu’avec les whiskies, mais qui s’est prêté au jeu d’autant plus facilement qu’il a travaillé en étroite collaboration avec la distillerie écossaise.
«A Genève comme partout ailleurs, nos experts ont été en contact avec le chef, qui leur a suggéré des plats à partir desquels ont été définis les whiskies les mieux adaptés en termes de vieillissement et de finition. Il s’agit d’un travail d’équipe qui s’élabore pas à pas», explique Ian Logan, International Brand Ambassador de The Glenlivet.
Quid du résultat? A la hauteur des attentes, et suffisamment probant pour tordre le cou à l’idée reçue, rapidement déjouée, selon laquelle l’emprise du whisky sur les mets serait trop grande pour parvenir à un accord équilibré.
On s’en rend compte dès le premier plat du menu élaboré par Prabu Kalyanasundaram – un filet de flétan au chili et un bar croustillant façon Amritsari, le tout accompagné de chou rouge –, servi avec The Glenlivet 15 ans d’âge. Avec ses arômes intenses de fruits et d’épices et sa note légère d’agrume, ce whisky qui passe six à neuf mois supplémentaires en fûts de chêne français neufs du Limousin après 15 ans en fûts traditionnels (bourbon et sherry) s’accorde parfaitement au duo de poissons grâce à sa finale légèrement épicée. L’accord est si subtile que le flétan, très tendre et relevé juste ce qu’il faut, révèle les riches saveurs du whisky, qui à son tour met en lumière toute la complexité du plat.
L’enchaînement avec le deuxième plat, un duo de volaille cuit au tandoor et décliné en deux variantes (tomate et parmesan d’un côté, lentilles noires de l’autre) renforce la première impression: le profil aromatique du whisky – ici The Glenlivet 18 ans d’âge – s’entremêle aux saveurs du plat, les notes d’agrumes et d’épices de l’alcool renvoyant à la marinade aux agrumes de la volaille, servie avec un chutney d’aubergine agrémenté d’une pointe de cumin.
Avec le prochain plat entre en scène un whisky, le Nàdurra First Fill Selection, qui mérite une présentation. «Le mot nàdurra signifie "naturel" en gaélique, ce qui veut dire que nous ne diluons pas, ni ne filtrons, notre whisky, qui est ainsi conçu dans le respect des techniques traditionnelles du 19e siècle», explique Ian Logan. Pour l’accompagner, le chef a préparé un homard grillé mariné au piment, agrémenté d’une émulsion à l’encre de seiche et d’un avial, soit un curry de petits légumes au lait de coco et au yogourt.
Le verdict? Avec sa forte teneur en alcool (63,1 % vol.), le Nàdurra First Fill Selection laisse peu de chances au homard quand on le déguste sec. Pour peu qu’on y ajoute un peu d’eau, une forme d’équilibre naît dans le palais, où les notes d’ananas juteux, de banane mûre et d’agrumes de ce whisky tiré de fûts de chêne blanc américains neufs entrent en résonance avec la marinade délicieusement piquante du homard grillé.
Avec The Glenlivet Founder’s Reserve, que Ian Logan aime personnellement marier avec un poisson ou des crustacés, le chef indien a privilégié une côtelette d’agneau cuite au tandoor avec champignons, boulghour aux noix, bettes et jus de morilles. Là aussi, l’accord est particulièrement réussi: la cuisson au tandoor renvoie au côté fumé du whisky, même si cet hommage au fondateur de la maison Georges Smith se caractérise surtout par sa bouche ronde et fruitée et sa note crémeuse.
Le repas touche à sa fin. A mesure que le menu progressait et que les bouteilles The Glenlivet se succédaient sur la table, le regard des autres clients se faisait tour à tour curieux et intrigué. Si les accords entre whisky et mets peuvent surprendre, force est de constater que le voyage gustatif est plaisant et harmonieux. La preuve avec le dernier accord centré autour d’une sphère au litchi et à la framboise avec crumble aux épices douces et espuma au gingembre, et de The Glenlivet 21 ans d’âge. Le nez fruité de ce malt vieilli dans des fûts stockés au cœur de la distillerie s’accorde parfaitement au dessert, dont les notes douces-amères dévoilent à son tour l’amertume du whisky, l’un et l’autre se répondant pour créer un accord parfait.
(Patrick Claudet)