Le lieu imaginé par Dominik Flammer réunit à Stans (NW) un centre de compétences unique et un conservatoire variétal, un restaurant, une vinothèque, une boutique. A la gloire de la cuisine régionale.
«C’est un rêve»: le Culinarium Alpinum vient d’ouvrir ses portes massives dans le berceau verdoyant de la Suisse primitive, en cette étrange veille de rentrée virale, et Dominik Flammer est sur un petit nuage: «Depuis six ans que nous travaillons à la concrétisation de ce projet fou, c’est un rêve éveillé.» Un projet audacieux, en effet, sinon fou, germe dès 2012 dans l’esprit de l’auteur et chercheur zurichois.
«Tout a commencé par un concours lancé pour la rénovation de l’ancien couvent capucin de Stans (NW), datant du XVIe siècle, auquel un groupe d’architectes et d’entrepreneurs m’a proposé de m’associer.» La Suisse compte aujourd’hui une soixantaine de couvents et monastères désaffectés, dont les propriétaires ne savent souvent plus que faire, en raison de charges d’entretien abyssales. Alors imaginez, un lieu de spiritualité et de beauté éthérée dispersé sur quelque 3000 mètres carrés, parcouru par un dédale de couloirs, à faire revivre et vivre. Dominik Flammer avait ébauché le concept d’un centre de compétences dédié au Patrimoine culinaire des Alpes, dans son premier ouvrage éponyme, paru en 2012.
«Paradoxalement, la Suisse est à l’origine de la première gastronomie globalisée grâce à Ritz et Escoffier qui l’ont fait voyager, lui ont donné une aura et une dimension mondiale, alors même qu’elle oubliait ses racines. Il s’agit aujourd’hui de retrouver nos produits locaux et les remettre en lumière. Le Covid-19 nous y aide indirectement. Les gens veulent désormais sentir le goût d’une région, connaître la provenance de chaque ingrédient.»
Le concours une fois remporté, en 2015, le projet fou de Dominik aura pris plusieurs années et pas mal de millions à se concrétiser. Il rassemble désormais sur un même site – entre monument à Winkelried et alpages verdoyants constellés de mini-chalets – producteurs et professionnels de l’hôtellerie-restauration, sommeliers, chercheurs et congressistes, hédonistes et curieux de variétés anciennes, amateurs de tourisme œnogastronomique.
Sur un budget de 14 millions, un des partenaires issu de l’immobilier, Senn Values AG, en a assuré plus de 10; s’y sont ajoutés plusieurs fondations et le canton de Nidwald, ainsi que de nombreux sponsors et soutiens. La Fondation du Patrimoine culinaire alpin (Keda pour Kulinarisches Erbe der Alpen) a été créée et a obtenu le soutien de nombreux partenaires.
Une rénovation exemplaire a permis de faire revivre le réfectoire et la bibliothèque, aménager plusieurs espaces communs en lieux de réunions, des salles dévolues à des séminaires, événements divers ou mariages, plusieurs cuisines pédagogiques. Un chantier de 5,5 ans qui débouche aussi sur un restaurant, confié à un transfuge de l’hôtellerie de luxe (Peter Durrer, passé notamment par le Bürgenstock et le Palace de Lucerne) à la carte logiquement à 95% locale et la vinothèque où choisir sa propre bouteille, une boutique de spécialités, une douzaine de chambres, une cave d’affinage à fromages.
«L’objectif est de créer un centre de compétence et d’excellence pour le patrimoine culinaire alpin, grâce à trois atouts principaux, explique son initiateur: les traditions culinaires et les produits locaux, le jardin-conservatoire et la cave d’affinage.» Quelque 650 variétés anciennes ou menacées prendront place dans le jardin comestible, sur plusieurs sites: une centaine de variétés de poires d’espaliers, une collection de pommes, fraises, framboises et autres baies, une cinquantaine de thyms et autant de menthes, mais pas que. «Nous avons voulu renouer avec le rôle pionnier joué historiquement par les moines dans l’acclimatation d’espèces exotiques: le jardin accueillera donc aussi des grenades, jujubes et autres kakis». C’est un jardin comestible, où les visiteurs sont invités à cueillir les fruits et goûter, voire prélever des boutures.
Enfin, les premières meules de sept alpages voisins ont d’ores et déjà pris place dans la fabuleuse cave d’affinage. «Le sbrinz est le plus vieux fromage suisse décrit aussi précisément par des sources historiques depuis plus de 500 ans. Il faut savoir qu’il est menacé: nous recueillons ici les meules des huit derniers alpages qui en produisent.»
(Véronique Zbinden)
Davantage d’informations:
www.culinarium-alpinum.com