Propriété du groupe LVMH, le domaine néo-zélandais Cloudy Bay représente un archétype d’un sauvignon autant du «nouveau monde» que d’un «nouveau goût». Le millésime 2017 en est une caricature.
Pâle à reflets verts, explosif au nez, avec une note de poivron vert et de grapefruit, d’une vivacité rare à l’attaque, mais avec des notes de fruit de la passion frais en bouche, et néanmoins du gras, ce Cloudy Bay 2017 représente l’archétype qui a fait la réputation de la Nouvelle-Zélande, et de Marlborough en particulier.
Dans le monde, plus de 125 000 hectares de sauvignon, cépage à la mode dès les années 1980, sont plantés, dont près d’un cinquième en Nouvelle-Zélande, où il occupe 60% du vignoble. L’aromatique du sauvignon est basée sur les thiols, des molécules qui expriment son côté variétal. Plus le sauvignon est mûr, voire surmaturé, plus il perd ses caractéristiques. En 2017, à Cloudy Bay, sur près de 300 hectares, issus du domaine propriété de LVMH et de contrats de culture, on l’a récolté, en mars 2017, avant l’arrivée du cyclone Debbie. «On a moins de vin à vendre. Mais si on n’avait pas récolté avant le cyclone, on n’aurait tout simplement plus rien eu à cueillir», témoigne Wendy von Denschrick, «ambassadrice» du domaine à l’intérieur du groupe.
La jeune femme, petit-fille de vignerons du Pfalz, dans le sud de l’Allemagne, parle volontiers de «vin plaisir», de «vin lifestyle», facile à boire, en apéritif et avec des fruits de mer, l’huître en particulier. Et si elle ne donne pas de chiffre, elle révèle que le vin est vendu dans trente pays et qu’il n’en reste pas une seule bouteille d’une année sur l’autre. Avec l’inversion des saisons dans l’hémisphère Sud, le sauvignon 2018 de Cloudy Bay est déjà annoncé pour octobre: récolté tôt, vinifié en cuve inox, il est mis en bouteille cinq mois après la vendange! Et à quel volume? Motus et bouche cousue: selon les estimations, il devrait y en avoir autour de 1,2 million de bouteilles.
Reste à savoir si le «goût Marlborough» va passer de mode. Des cépages comme le vermentino sarde ou la petite arvine, voire le savagnin-païen valaisans, jouent sur la même gamme aromatique. A l’intérieur de l’univers du sauvignon, qui a son propre concours mondial (cette année à Graz, en Autriche), les expressions diversifiées sont perceptibles: la Styrie, l’Espagne, le Frioul italien, la Bulgarie ont obtenu des médailles d’or, en-dehors des grandes régions que sont la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, le Chili et la France. Tant dans l’Entre-deux-Mers, à Bordeaux, qu’en Touraine, en Val de Loire, le sauvignon tente d’échapper à deux typologies: l’explosivité fruitée et fraîche de Marlborough et le côté végétal et minéral de Sancerre. Pour le sauvignon, il existe bien une «troisième voie», comme on a pu le constater, verre en main, ce printemps, à Blois.
Créé en 1985 par David Hohnen, le fondateur de Cap Mentelle, dans la Margaret Valley, Cloudy Bay est arrivé dans le portefeuille de LVMH, comme le domaine australien, par le champagne Veuve Clicquot. Pour diversifier sa gamme, Cloudy Bay produit aussi un chardonnay et un sauvignon élevé sous bois, Te Koko, qui, sans exhaler des notes de…coco, s’avère tout de même très boisé (dans le millésime 2015). Et deux pinots noirs, dont la fraîche Nouvelle-Zélande tire parti, un très fruité pinot de base, plus suisse ou allemand que Nouveau Monde, et un atypique Te Wahai, dans le terroir de schistes et de quartz de Central Otago, une des régions les plus fraîches du pays. Ses arômes n’évoquent aucune référence européenne (mais peut-être nord-américaine…). Il s’avère dense, terreux, avec des notes de betterave rouge, et une rémanence de cerise noire, sur le 2014, premier millésime. Et pour ce vin, élevé en barriques et destiné à vieillir, on a refait confiance au bouchon de liège, alors que le reste de la gamme est sous capsule à vis, comme d’ordinaire en Nouvelle-Zélande et en Australie.
(Pierre Thomas)