Des armateurs belges d’Anvers sont à la tête du plus vaste domaine bio, et bientôt biodynamique, certifié d’Italie, et l’un des cinq principaux au monde.
C’est le défi d’une femme, Virginie Saverys. Depuis des années, elle venait se ressourcer au cœur de la Toscane, quittant ses affaires d’Anvers – sa famille est un des leaders mondiaux des navires de transport de marchandises en vrac (vraquiers). En 2007, pour diversifier son patrimoine, elle investit chez Avignonesi. L’étiquette est connue, mais elle a traversé quelques tempêtes, liées à une double mésentente familiale, coup sur coup. En 2009, minoritaire, l’actionnaire belge se retrouve en position de prendre le contrôle du domaine. Avec sa famille, dont son fils de 25 ans, qui a fait ses premières armes dans le maritime à Lausanne, elle s’installe en Toscane.
Si elle a conservé la structure de l’ancien domaine, sans savoir comment occuper, pour l’instant, une grande villa en son centre, qui pourrait devenir un hébergement œnotouristique, elle a pu racheter, en 2013, une cave moderne non loin (Lodola, qui appartenait à Ruffino), et des parcelles pour doubler la surface viticole initiale. Aujourd’hui, Avignonesi con-trôle près de 180 hectares de vignes, dont 160 sont en exploitation. 70 ha sont dédiés au Vino Nobile di Montepulciano – soit plus d’un demi-million de bouteilles. Sauf quand l’année est moins favorable, comme 2014. Ce millésime, qui arrive sur le marché, est gratifié de trois étoiles par le Consorzio, contre cinq pour le 2015 et quatre pour le 2016. Il faut remonter à 2002 pour un millésime de ce niveau (deux étoiles) et 1996 (trois étoiles). Avignonesi croit au Vino Nobile et s’en ira en tournée américaine en mai, avec un groupement qui vient de se constituer, les Nobile Lions, formé des meilleurs domaines (Boscarelli, Dei, La Braccesca-Antinori, Poliziano et Salchetto, un autre domaine bio).
Car la propriétaire a misé gros sur le sangiovese local, appelé «prugnolo gentile», cultivé en bio, puis en biodynamie, de sorte que ses 160 ha constituent un des cinq plus vastes domaines «verts» au monde. «A cette échelle, le surcoût de la biodynamie est négligeable. Pas plus de 20 centimes d’euro la bouteille. C’est le même choix que l’homéopathie par rapport à la médecine classique. Avec le bio, on a amélioré les sols et renforcé les capacités de résistance de la plante», détaille avec conviction Virginie Saverys.
Le vignoble occupe sept micro-climats à Montepulciano et un à Cortone, soit, à chaque vendange, 70 lots de sangiovese à vinifier séparément. La taille du domaine permet d’en vendanger une partie à la machine et de pratiquer le tri optique. Toute l’équipe est très jeune: une moyenne de 30 ans, que ce soit pour la gestion des vignes ou en cave, avec une jeune «winemaker» australienne, Ashleig Seymour, depuis 2010. En 2014, elle avoue n’avoir pas beaucoup dormi et le domaine a fait l’impasse sur ses grandes cuvées (Grandi Annate, une sélection de Vino Nobile, et Grifi, un assemblage mi-sangiovese, mi-cabernet): «On se serait cru en Angleterre toute l’année et cette pluie a fait grossir les grappes, belles à l’extérieur, mais qui n’avaient pas mûri à l’intérieur.»
Au final, après le tri, une demi-récolte, sans déroger à la règle d’or d’un pur sangiovese, qui se révèle fumé au nez, un peu suave à l’attaque, avec des arômes de cerise noire et un bon soutien acide – un Vino Nobile à la fois frais et fruité. Avignonesi a d’autres ressources, comme ce merlot Desiderio, complété par un peu de cabernet sauvignon, dont une partie des raisins proviennent de Cortone: davantage d’extraction, davantage de bois (qui parfois dessèche le sangiovese, connu pour l’absorber par trop), avec des notes de cassis en 2013 et du gras, et qui se révèle sur la distance, comme ce 1989, aux arômes de poivron grillé et de fumée froide, caractéristiques de ses deux cépages.
Et puis, Avignonesi est depuis longtemps une référence pour le Vin Santo di Montepulciano, une DOC qui impose que le raisin séché comme l’Amarone, ou plus justement comme le Recioto, ne dépasse pas 35% du raisin cueilli. Le domaine en propose deux types: un blanc, à base de trebbiano et de malvoisie, et surtout un rare Occhio di Pernicce (œil de perdrix), un pur sangiovese. «Il faut autant de raisin pour 5 décilitre d’Occhio di Pernicce que pour 12 bouteilles de Vino Nobile», explique la propriétaire. Le raisin est vendangé début septembre, parfaitement sain, puis séché sur des claies jusqu’en janvier, dans un hangar ventilé, un «appasitoio», orienté dans l’axe du vent du nord. Pressées lentement, les grappes donnent un jus sucré placé dans de petits tonneaux, «caratelli», de 50 ou 60 litres de divers bois, chêne, châtaignier, acacia, avec une partie de vin des années précédentes, appelée «mère», soit des levures naturelles nécessaires à une longue fermentation.
Ces caratellis sont scellés à la cire et le vin y reste dix ans au moins dans un local dédié, une «vinsantaia». Actuellement, le millésime 2002 est disponible. Dense, au parfum d’essence de vieux bois, de noix et de miel, ce nectar se déguste dans un petit verre à cognac pour capter ses arômes subtils d’un autre temps.
Pierre Thomas
Davantage d’informations:
<link http: www.consorziovinonobile.it>www.consorziovinonobile.it
<link http: www.avignonesi.it>www.avignonesi.it