La jeune femme est passée par le chas des grands concours et des MOF, s’élançant des palaces parisiens aux rives du Léman. Le guide Gault & Millau a fait d’elle sa Cuisinière de l’année 2018.
«Simple, bon, élégant: de beaux produits pour aller à l’essentiel.» Ces quelques mots pour résumer la cuisine d’une MOF, désormais à la tête d’une des plus chic enseignes de Genève, La Réserve. Virginie Basselot est une adorable modeste lorsqu’on songe à son parcours, cette quête effrénée de la perfection passant par les épreuves les plus rudes et les maisons étoilées les plus exigeantes. Lorsqu’on regarde ses assiettes aujourd’hui, en effet, on est saisi par l’apparente simplicité qu’elles dégagent. Cette manière de masquer la complexité, la technique, la virtuosité dans des petits bijoux miniatures qui semblent aller de soi. Par exemple? Son cabillaud, qui fait déjà figure de standard: une chair nacrée enserrée dans un écrin de petits légumes du moment, posée sur un tapis de perles du japon colorées, embaumé par le fumet exquis d’un beurre citron-mélisse.
Ou un tartare de bar et huîtres, rehaussé d’un soupçon de citron, huile d’olive et oyster leaves, d’une crème montée au jus d’huître et caviar. Mais aussi une carbonara de blettes et cèpes, divin gâteau miniature, le blanc des légumes taillé façon tagliatelles, le vert en coulis, le tout semé de quelques éclats de magret de canard fumé. Enfin, un crémeux à la fève tonka, araguani et sarrasin grillé, qui fait aussi figure de dessert signature.
Mais revenons à la case départ pour faire la connaissance de cette discrète à col tricolore et chignon impec. Fille de restaurateurs de la région de Pont l’Evêque, dans le Calavados, Mademoiselle Basselot se rêvait plutôt pilote de chasse. C’est bien connu, les rêves de petites filles sont souvent balayés comme irréalistes par les parents et les enseignants: notre Virginie se laisse dissuader, pour prendre son envol avec la même envie de grands espaces, en direction des cuisines. Après deux ans d’apprentissage dans une auberge de la région, elle est engagée au Casino de Deauville. La vie trépidante d’une cuisine d’hôtel, les banquets, la discipline et les horaires rudes, mais aussi l’énergie et l’atmosphère électrique qui motivent à tenir, à aller plus loin. Après Deauville, ce sera logiquement Paris, ses grandes brigades, la course aux étoiles, un univers éminemment masculin et compétitif. Au Crillon, dont la table gastronomique Les Ambassadeurs arbore deux macarons Michelin, elle entre sur la pointe des pieds, dans le rôle du petit commis. «On y faisait beaucoup de concours, c’était très stimulant. J’ai aussi découvert la pâtisserie de haut vol avec Christophe Felder. Une période de grandes découvertes.»
Premier commis tournant, elle est remarquée puis engagée par Guy Martin, en 2000; peu après son arrivée, le Grand Véfour décroche sa troisième étoile. Autre période électrisante, formidablement stimulante: «Surtout, j’ai eu la possibilité de voyager: plusieurs séjours au Japon m’ont ouvert des horizons inouïs. Un choc culturel, même si ça n’était pas évident en tant que femme: impossible dans la culture japonaise de donner des ordres aux hommes de l’équipe. Il fallait ruser.» Virginie passera ensuite au Bristol aux côtés d’Eric Frechon, autre chef mythique de la capitale et MOF. Elle est chef de partie, puis sous-chef et enfin premier sous-chef. En 2011, elle tente le concours des MOF une première fois. «Une affaire de culture générale, d’hygiène, d’histoire, qui recouvre aussi bien les fromages que le vin et l’actualité de la gastronomie, une somme de disciplines considérable à maîtriser, pour ne rien dire de la technique. Là-dessus, vous recevez vos sujets quinze jours avant les épreuves…» Virginie se fait retoquer. Pas grave, la jeune cheffe remettra ça en 2015, avec succès. Même promotion que Benoît Carcenat, qui travaille alors avec Benoît Violier à Crissier. De son côté, Virginie rayonne, pour avoir passé neuf ans au côté de deux MOF, Eric Frechon et Guy Martin, pour avoir fait siens la rigueur et l’état d’esprit de ce club très fermé: «J’ai surtout aimé leur goût de la transmission.»
Virginie Basselot devient la deuxième femme à arborer le col tricolore, la première étant la Basque Andrée Rosier, en 2007. Et quand on évoque avec elle l’éternelle question de la rareté des femmes dans la gastronomie, elle se veut lucide. Pour avoir aussi participé au Trophée Taittinger à l’époque du Bristol, elle sait que les femmes sont rares à s’inscrire dans les concours. «Elles sont nombreuses dans les écoles hôtelières et les formations mais se raréfient par la suite dans le haut de la hiérarchie. Pourquoi si peu de femmes? Ce sont des choix de vie parfois difficiles. La restauration est une des professions où le taux de divorce est le plus élevé. Il faut trouver un compagnon qui accepte vos choix, même si c’est souvent une question d’organisation. Ce métier recouvre tellement de réalités différentes, mais surtout beaucoup de passion, et c’est parfois difficile à concilier avec certains modes de vie.»
En 2015, sur 600 inscrits, ils sont huit à décrocher le titre prestigieux de Meilleur Ouvrier de France. Un titre qui «ouvre beaucoup de portes, facilite des démarches, donne une grande visibilité», estime aujourd’hui Virginie Basselot. Entre-temps, elle est devenue cheffe au Saint James, hôtel de charme dans le XVIe, en 2012, décrochant sa première étoile Michelin en 2014. Cette visibilité nouvelle est un des éléments qui inciteront la direction du groupe Michel Reybier Hospitality à venir la voir au Saint James pour l’inviter à La Réserve.
Son expérience de la Suisse se résumant jusque-là à des cours donnés à l’Ecole hôtelière de Lausanne à l’invitation d’une maison horlogère, Virginie fait son repérage en juillet, pour débarquer trois mois plus tard, le 1er octobre 2016, auréolée du titre de chef exécutif, avec cinq lieux sous sa responsabilité. Ce qui l’a convaincue d’accepter? «La beauté du domaine avec son parc, le lac et la vue sur le Mont Blanc, bien sûr, mais aussi le fait que l’établissement appartienne à une famille.»
Son mandat? Faire évoluer la cuisine, rafraîchir l’atmosphère, ajouter une touche contemporaine. Et féminine. Heureuse métamorphose des assiettes. Virginie a aussi fait une petite révolution de palais en allant à la rencontre de nombreux producteurs locaux. La Normande ne va certes pas renoncer aux produits de la mer – inscrits dans son ADN et partie intégrante de sa signature – mais elle a d’ores et déjà adopté l’agneau de Vessy, la volaille du Nant d’Avril, les agrumes de Niels Rodin ou les poissons de Fabrice Christinat, à Coppet. Et les légumes? Ils proviennent pour l’essentiel des Jardins de Mamajah, projet d’agriculture contractuelle bio en permaculture. «C’est parfois difficile en termes de quantité, mais on essaie.» Pour ce qui est du pain, c’est François Wolfisberg, artisan carougeois, qui lui en façonne sur mesure pour sa clientèle. «C’est exceptionnel d’avoir tous ces producteurs si proches de nos cuisines.»
De bon augure, au moment de son arrivée, le guide Michelin décernait une étoile au Tsé Fung, une première pour un restaurant chinois, en l’occurrence une des adresses de La Réserve. Et si le guide rouge a raté l’occasion d’en accrocher une au Loti pour la première année de Virginie, elle qui en avait une au Saint James, on attend avec impatience l’édition 2019. De son côté, le Gault & Millau a fait d’elle – une fois n’est pas coutume – sa Cuisinière de l’Année 2018.
(Véronique Zbinden)