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«Même les palaces sont ancrés dans l’économie»

Après Beau-Rivage à Genève, Ivan Rivier a dirigé le Lausane Palace pendant cinq ans. Interview et regard sur l’hôtellerie de luxe.

De ses cinq ans au Lausanne Palace, Ivan Rivier retient l’incendie d’il y a deux ans et les innombrables rencontres et événements, dont l’inauguration de la Bibliotheca avec François Busnel, de La Grande Librairie. (DR)

Ivan Rivier, vous avez quitté votre poste de directeur général du Lausanne Palace le 30 septembre dernier. A 62 ans, c’est presque une pré-retraite: pourquoi cette décision?
Elle n’est pas liée au Covid, qui a donné l’agenda, mais pas le timing. J’avais annoncé mon départ en décembre dernier et je devais finir en mai ou juin. Le processus de sélection a pris un peu plus de temps. C’est finalement Isabelle von Burg, qui vient des Bergues, à Genève, qui va me remplacer; j’en suis très heureux.

C’est aussi une période de grands changements pour le groupe?
En début d’année, il y a eu l’arrivée d’Andrea Zambelli, nouveau CEO de la Fondation des hôtels Sandoz, issu de la direction de Nestlé, puis, en août, celle de Jean-Marc Brandenberger, venu du groupe de restauration collective Eldora, qui est le nouveau directeur du marketing et de la communication.

Quels sont vos projets?
J’aime l’opéra, mais je n’ai plus envie de filer à toute vitesse pour un week-end à Paris ou Milan puis de rentrer fatigué. Nous vivons une époque où tout se fait dans la précipitation et j’ai au contraire besoin de flâner, prendre le temps de visiter une expo. Découvrir des endroits avant qu’ils soient trop courus: là, je rêve notamment d’aller voir l’extraordinaire site archéologique d’Alulah, au nord de l’Arabie saoudite.

Vous avez un parcours d’une fidélité impressionnante…
C’est vrai, mais ça n’a jamais été un plan de carrière. Moi qui pensais voyager et travailler pour des groupes internationaux, je me suis retrouvé en Suisse, dans des hôtels en mains familiales. Après l’Ecole hôtelière et une ouverture à Rolle, je suis revenu à l’EHL, côté opérationnel, avant d’être nommé directeur des opérations et d’y rester onze ans. Puis il y a eu le Beau-Rivage, à Genève, où je suis resté quinze ans, et enfin le Lausanne Palace depuis 2016.

Diriger un hôtel comme le Lausanne Palace, qu’est-ce que cela signifie au quotidien? Y a-t-il une journée type ?
Chaque jour est différent. C’est un métier dur mais fabuleux, qui nous amène à côtoyer tous les milieux, tous les métiers, du plongeur à celui qui a fait l’EHL, le côté humain est passionnant, enrichissant. En temps normal, nous sommes 250 personnes, que j’essaie de connaître individuellement, pour quatre restaurants, trois bars et 140 chambres. Avec les clients aussi, vous rencontrez une multitude de nationalités, passez du bureau et de la gestion au relationnel.

Qu’est-ce qui est le plus intéressant pour un directeur?
Créer une atmosphère: on peut avoir un hôtel magnifique et luxueux mais sans âme. Moi ce qui m’intéresse, c’est le supplément d’âme donné par les équipes. C’est ce qui m’a toujours passionné dans les métiers de l’hôtellerie. Travailler avec les équipes, leurs sensibilités et faire régner cette harmonie qui fait que les visiteurs s’y sentent bien.

En quoi le Lausanne Palace se distingue-t-il des autres établissements?
C’est un hôtel très urbain et inclusif. C’est l’hôtel des Lausannois et c’est pour eux que j’ai développé le Palace Unlimited, programme d’animations culturelles qui a commencé avec le Prix littéraire de Lausanne, voici quatre ans, et continué avec la musique, puis la danse et la peinture. L’hôtel est devenu une plateforme culturelle vivante, inscrite dans la ville, ouverte à de multiples disciplines, du concert classique à la nuit des polars, du street art au défilé de mode, en passant par une bibliothèque ouverte au public et des partenariats avec musées et théâtres.

Comment avez-vous traversé cette crise?
Nous étions le seul cinq étoiles à rester ouvert à Lausanne, et ce grâce au soutien de la Fondation propriétaire. Le premier confinement était très particulier: nous avons réduit les équipes à 15 personnes, qui ont été très polyvalentes. Nous avons toujours eu au minimum une dizaine de chambres occupées et parfois jusqu’à 20. C’était important de garder l’hôtel ouvert, car malgré tout la vie continue. Il fallait gérer la crise, même ouverts: c’était compliqué de ne pas perdre plus d’argent que si l’hôtel était fermé. Nous avons eu un minimum de licenciements heureusement, en jouant sur les départs naturels et les CDD. Pendant le deuxième confinement, on a ouvert la brasserie et on a été pleins tous les week-ends, les clients avaient très envie de se retrouver au resto. On a aussi lancé les tables déconnexions, avec des repas servis dans des lieux insolites: à la piscine, dans une suite ou la vigne du Palace, avec un succès fou.

«C’était important de garder l’hôtel ouvert, car la vie continue»


Comment voyez-vous l’évolution de la branche?
Le grand défi tient à la pénurie de personnel. Beaucoup de gens ont changé de branche, décidé d’arrêter ou espèrent des conditions différentes. Sinon, on verra comment évolue le reste de l’économie: les hôtels ne sont pas sur une autre planète, même les palaces sont ancrés dans l’économie.

Imaginez-vous de nouvelles fermetures ou de nouveaux rachats par des groupes?
Lausanne compte trois palaces, c’est moins que Genève, mais nous dépendons beaucoup de la clientèle d’affaires, dont les habitudes ont changé récemment. L’hôtellerie n’est pas déconnectée du reste de la vie économique. Tout est lié. Les groupes ou les chaînes sont peut-être mieux armés pour aborder cette période délicate. Pourquoi serait-il plus dommage qu’un hôtel passe à un groupe plutôt que d’être difficilement géré par une famille?

(Propos recueillis par Véronique Zbinden)


Davantage d’informations:

www.sandoz-hotels.ch/accueil