Mediadaten Données Media Olympiade der Köche

Ferran Adrià fait son grand retour

Sorti de l’ombre à l’occasion du congrès Madrid Fusion, le célébrissime chef catalan évoque ses projets et lance un appel à candidatures.

«Je ne reviens pas, je ne suis jamais parti», dixit Ferran Adrià. (Keystone)

C’était LE moment clé du dernier congrès Madrid Fusion, l’intervention attendue, la star entre les stars. Même si son nom ne dit pas grand-chose aux moins de quarante ans. Ferran Adrià, chef triplement étoilé et mondialement célébré d’elBullì entre 1984 et 2011, «révolutionnaire pacifique», inventeur de l’espuma tant imitée, du ravioli liquide et du morphing culinaire, du croustillant liquide mêlant pois blancs, oursins et poudre de foie gras, de l’écume de fumée de l’éphémère et de l’insaisissable, des variations infinies sur la texture et de la rupture des codes. De tous les codes. Ferran Adrià donc, était sur scène, venu évoquer ses projets devant un auditoire bondé et conquis d’avance, huit ans après avoir annoncé sur la même scène la fermeture de son restaurant de la Cala Montjoi, à Rosas. 

Une fondation très active

T-shirt, jeans et veste noirs, regard toujours aussi pétillant; ceux qui se souviennent de l’agitateur de tendances de la première heure se disent qu’il n’a guère changé. Tout au plus quelques cheveux gris et un peu de moelleux en plus à la ceinture.

«Quand va-t-on cesser enfin de parler de cuisine moléculaire?» -Ferran Adrià, chef de cuisine 


Pourquoi ce retour sous les projecteurs après huit ans de silence? «Je ne reviens pas, je ne suis jamais parti», commence-t-il en substance, avant d’égrener quelques chiffres. «La Fondation elBullì n’a pas cessé de travailler dans l’ombre, durant toutes ces années. Nous avons donné 500 conférences sur l’innovation, digitalisé plus de 90 000 objets et instruments, mis sur pied les expositions qui ont tourné d’Europe aux Etats-Unis (accueillant plus de 250 000 visiteurs pour sa seule halte madrilène), conçu 400 vidéos pour retracer nos recherches et les années elBullì», explique-t-il.

Vingt-cinq ans de cuisine techno-émotionnelle (et qu’on arrête de le bassiner avec l’appellation «moléculaire», qui n’a jamais correspondu selon lui à la réalité mais qu’un dernier carré d’ignorants continue d’utiliser, si si…) bientôt mis en lumière et accessibles au plus grand nombre. C’est l’idée du projet pharaonique nommé elBullì 1846. Mais encore?

Appel aux créatifs et chercheurs

Une encyclopédie gastronomique colossale nommée Bullipedia réunira en 35 volumes le savoir culinaire issu de 400 ans de cuisine française - le Maître insiste sur l’apport de la France - jusqu’aux innovations récentes. Un vaste musée (et les archives dédiés au fameux restaurant et aux avant-gardes espagnoles) ouvrira en 2022: c’est le volet Bulligrafia.

Enfin et surtout, elBullì 1846 prendra la forme d’un laboratoire géant interactif sur le site de l’ancien restaurant et quelque 6000 mètres carrés. Les lieux sont en cours de transformation et d’agrandissement: le projet a été mis au concours et quatre architectes ont soumis leur vision. A côté du resto historique et de sa cuisine, qui seront rénovés, prendront place un espace d’exposition et un atelier de création animés par une équipe d’une vingtaine de personnes.

A cette fin, Ferran Adrià et sa fondation lancent un appel aux créatifs et chercheurs de tous horizons, psychologues, sociologues, chimistes et historiens, intéressés à travailler sur les mécanismes de la création culinaire et les secrets de la perception. Il a été relayé sur le site de la fondation elBullì et sera suivi de deux autres plus spécifiquement adressé aux autres étapes du projet.

Revenant brièvement sur son parcours – du quasi dilettante au trois étoiles le plus adulé, critiqué et copié de tous les temps, Ferran rappelle qu’à la base, il y a son livre «Saveurs de la Méditerranée». « Tout est parti de ma passion et de mes recherches sur notre environnement méditerranéen et la manière d’apprêter les produits de la mer. Ce n’était pas, comme on a voulu le faire croire, une histoire de sphérisation, d’alginates, ni de ces diableries d’espumas.»

«Nouvelle nouvelle cuisine»

A l’époque le Taller a été le premier atelier de haute gastronomie, le premier à séparer la création de la production. «Nous sommes partis de la nouvelle cuisine basque pour réinventer la tradition, nous avons voulu écrire un nouvel alphabet. Nous avons ouvert des chemins.»

Si c’était à refaire? Il fermerait toujours le restaurant quand il l’a fermé. «L’équipe était épuisée. Créer un menu expérimental comme nous l’avons fait durant toutes ces années, réinventer la cuisine trois fois par an, nous étions allés au bout de l’innovation et de ce que nous pouvions apporter», raconte-t-il en substance. A noter enfin pour les nostalgiques de cet âge d’or que deux restaurants du groupe familial El Barrì, à Barcelone, permettent de le redécouvrir: Tickets qui propose quelques-uns des grands classiques d’elBullì sous forme de tapas (32e de la liste des World’s 50 Best Restaurants) et Enigma, un parcours surprise à travers cette «nouvelle nouvelle cuisine». Tous deux sont dirigés par Albert Adrià, le frère de Ferran, lui-même élu Meilleur pâtissier du Monde en 2015.

(Véronique Zbinden)