La Bellerine vient d’être élue Cuisinière de l’année par le Gault & Millau helvétique. Sa cuisine? «Fun, ludique, dans l’air du temps».
On l’a vue récemment cuisiner un menu chic à quatre mains avec Dominique Gauthier dans les cuisines du Chat-Botté, à Beau-Rivage, à Genève. Ou œuvrer en compagnie de Sang Hoon Degeimbre, le formidable chef wallon doublement étoilé de Liernu (L’Air du Temps) dans le cadre d’un dîner de gala au Château d’Aigle. On l’a aussi aperçue ici et là dans des soirées organisées par les Jeunes Restaurateurs d’Europe. Surtout, elle est omniprésente ces jours, à l’affiche des magazines et aux devantures des kiosques, visage botticellien sous une chevelure blond vénitien en cascade, contrastant avec la sévérité de l’uniforme noir à son nom. Marie Robert est la Cuisinière de l’année du guide Gault & Millau, succédant à un casting plutôt chic: d’Irma Dütsch à Virginie Basselot, en passant par Judith Baumann et Tanja Grandits.
Elle a trente ans tout juste, une belle énergie et une spontanéité rare, qui lui a fait s’exclamer - à l’heure de monter sur le podium pour y recevoir son titre des mains de Urs Heller, responsable du guide jaune: «Trop cool!» C’était il y a quelques jours, dans les salons feutrés du Dolder Grand, à Zurich. Elle ne s’attendait pas à ce titre, ni à cette note de 16/20, dit-elle – pour avoir commencé modestement, en reprenant une enseigne villageoise, le Café Suisse, au centre de Bex et à deux pas des Salines. «On a commencé tout petits, en bossant comme des fous, de sept heures du matin à deux heures, avec un transat installé en cuisine et personne pour la plonge.»
Avec son associé de la première heure Arnaud Gorse, ils proposent alors des mets de brasserie, style entrecôte parisienne, frites et petits légumes, plus quelques desserts de grand-mère tout simples. «Nous étions deux mais ensuite, tout s’est enchaîné très vite: aujourd’hui, nous sommes entre huit et dix, soit trois filles et un garçon avec moi, en cuisine.»
Marie Robert et Arnaud Gorse se sont rencontrés au Montreux Jazz, avant de se lancer ensemble dans l’aventure, «sans savoir très bien où ils allaient». Arnaud est issu de la gastronomie, avec un CAP français de cuisinier, avant de passer par la galaxie Ducasse: «A la Bastide de Moustiers, j’ai adoré travailler en salle et choisi d’y rester.» Passionné de vins, Arnaud est aussi à l’origine d’une carte inspirée et vagabonde.
En 2010, la maman de Marie déniche ce café au charme nostalgique, décor choisi par le réalisteur genevois Michel Soutter pour y tourner Repérages dans les années 1970. «Ma chance a été d’avoir le soutien inconditionnel de mes parents, qui ont cru dès le départ en moi.» Auparavant, peu de choses prédestinent pourtant la jeune Lausannoise – entre un père comptable et une mère active dans l’événementiel – à la cuisine… Si elle devait citer des goûts d’enfance, ce serait «les raisinets cueillis dans le jardin de ma grand-mère ou les gâteaux à la courge qu’on faisait chez elle». Une évidence, toutefois: Marie a toujours aimé la cuisine et sa vocation s’est imposée très tôt.
Elle commence par un apprentissage au Bleu Lézard, puis au Café Beau-Rivage, à Lausanne, apprenant à la fois «les bases techniques et le speed – quand il faut envoyer 100 à 150 couverts le midi – puis les exigences d’une grande maison», décrochant au passage le titre du Meilleure apprentie du Canton. A l’époque, le très médiatique Thierry Marx, installé au Château de Cordeillan-Bages, à Pauillac, fait rêver la jeune génération. «L’envie d’aller plus loin, vers l’excellence» l’incite à postuler. Engagée au sein de la brigade, la jeune apprentie vit un réveil brutal, craquant au bout d’une saison. «C’était trop tôt pour moi, trop dur, j’étais trop rêveuse», analyse-t-elle aujourd’hui. Tout en admettant avoir appris la patience et la persévérance.
Retour à la case départ. On est en 2010, et, quand elle repense à ses débuts, Marie a l’impression qu’une éternité s’est écoulée. Si le décor n’a pas bougé, avec son plafond à moulures invraisemblable de hauteur et l’escalier à double volée, la carte a subi une mue radicale vers la bistronomie, avec davantage de technique et une personnalité qui s’affirme au fil des plats. Sa philosophie? Une cuisine « fun, ludique, dans l’air du temps». Une cuisine bourrée de malice et de couleurs flashy, volontiers construite autour de trompe-l’œil, qui rappelle la petite lueur espiègle au fond de son regard vert d’eau.
Le plat dont elle est le plus fière? L’illusion de betterave, peut-être. En fait, une terrine de chevreuil déguisée en légume-racine, coque pourpre de gelée de cornouille camouflant le gibier: un joli contraste entre l’acidulé de la petite baie et la chair sauvage, musquée mais moelleuse, du chevreuil. Au même menu automnal, une entrée associant un carpaccio de cerf mariné au sel et sa mini mousse aux marrons et – masqué par un double fond – un cube de velouté de courge recelant de mini-girolles; de classiques médaillons de chevreuil ponctués d’une garniture ultra colorée.
Le sel, disait-on? Logique, on est à Bex et il figure en bonne place sur toutes les tables, en cristaux dans de petites boîtes rondes, associé à divers beurres parfumés. Mais la cheffe aime aussi, au-delà des classiques, jouer sur les apparences et les mises en scène théâtrales. Par exemple avec une poupée russe recelant un saumon écossais et son caviar de vodka. Ou un pseudo-bonsaï auréolé d’une vraie barbe à papa à la fraise. Rien ne lui fait plus plaisir que «le sourire et les compliments de sa clientèle», convient Marie. Une raison de plus pour s’autoriser ici et là «une petite touche de folie.»
(Véronique Zbinden)