Au moment où sort de cave le beaujolais nouveau, les Vaudois seraient bien inspirés de mettre en valeur le gamay, qui aime le chaud et le sec. Pour un résultat souvent remarquable.
Tout occupés à promouvoir l’Escargot rouge, qui avance lentement comme une marque collective, les Vaudois en oublient leurs 1ers Grands Crus. Pour la première fois, un producteur des Côtes de l’Orbe, Pierre-Yves Poget, à Agiez, a réussi à placer son gamay Le Clos élevé en fûts de chêne au sommet de la pyramide qualitative des vins vaudois avec le délicat millésime 2021. Et il a récidivé avec le 2022. Car il faut le rappeler, une dégustation-sanction remet en jeu chaque année la mention de 1er Grand Cru, même si les étapes du cahier des charges sont respectées. Pour les vins rouges, seuls trois crus ont réussi l’épreuve en 2023: le gamay Le Clos 2022 et le gamaret et le garanoir, tous deux de 2021, du Château Le Rosey, à Bursins. Pas un seul pinot noir! Les 24 autres 1ers Grands Crus vaudois sont tous des chasselas. En 2011, ils n’étaient que onze chasselas. Cette année, deux crus du début ne figurent plus dans la liste, alors qu’ils y étaient en 2022, Es Cordelières de Gränicher (La Côte) et L’Ovaille de Deladoey (Chablais) et un cru fondateur, le Château Le Mont (sur-Rolle), fait son retour, aux côtés d’un seul nouveau par rapport à l’année précédente, La Donnery, de la Cave du Consul, à Perroy.
Revenons au gamay: Pierre-Yves Poget a sélectionné des vieux ceps de 45 ans dans une vigne arrachée ensuite. Il faut savoir que le gamay est exigeant, et productif, à la vigne, sujet aux maladies du bois et cryptogamiques et à la pourriture grise, ce qui explique son relatif désamour de la part des viticulteurs... Sur une seule parcelle, le vigneron d’Agiez produit une cuvée en inox, remarquable de fraîcheur en 2022, et une cuvée élevée onze mois en fûts de chêne, après un cuvage prolongé: un beau vin, qui n’a pas encore digéré son élevage, certes, mais bâti pour s’améliorer sur dix ans. Une récente dégustation au Salon des Côtes de l’Orbe, à Daillens, a démontré que les meilleurs producteurs de la région obtiennent des résultats remarquables, comme la coopérative, la Cave des Treize Coteaux (qui fait vinifier sa cuvée de prestige Aurore de Gamay à Puidoux), Le Château de Valeyres (sous Rances), avec son luxuriant Confidentiel, finaliste au dernier Grand Prix des Vins Suisses, ou Bernard Gauthey, lauréat des Lauriers de Platine rouge pour ses gamarets et garanoirs et non pour son gamay.
Exception vaudoise, les Côtes de l’Orbe affichent 75 % de rouge (132 ha). En 2005, le gamay représentait encore 58 % de l’encépagement; il a régressé à 40 %, devant le duo garanoir-gamaret et le pinot noir, les trois ensemble représentant 50 %. En 20 ans, la surface de gamay a diminué de 20 % dans le vignoble vaudois (sur 340 ha), en Valais et à Genève aussi, de sorte qu’en Suisse, perdant 580 ha depuis 2005, avec 1077 ha, il est passé derrière le merlot (1235 ha), et le pinot noir, certes en régression de 650 ha sur la même période, mais toujours le cépage le plus planté avec 3750 ha. La prise de conscience d’une réduction du rendement à la vigne pour obtenir une bonne qualité en cave, ses tanins souples, son aptitude à un élevage en fûts (pas forcément neufs), ses épices mises en valeur par le choix du clone et le terroir sont autant de qualités qui devraient remettre en valeur le gamay, originaire du Beaujolais, en pleine renaissance. Comme l’intérêt des nouveaux consommateurs pour des vins monocépages, plutôt que des assemblages diffus et confus, dont il faut expliquer les subtilités de la vinification.
(Pierre Thomas)